L’IMPASSE
SUITE 5
Elle savait transcrire tous ces sentiments du bout de ses doigts fuselés. Nous écoutions son père et moi. Le chat regardai sa maîtresse, un œil mi–clos, attentif au moindre frémissement qui faisait glisser l’archet sur les cordes pour en arracher tout ce qu’elles étaient capables de donner pour refléter les sentiments dans ce qu’ils de plus vrais, de plus authentiques. Je me suis senti en ces instants plus heureux que je ne l’aie été par la suite dans ma vie. Encore que je ne sais pas si le mot heureux correspond bien à ce que je veux décrire. Ce fut comme un engourdissement plus exactement, une sorte d’état second où les aspérités de l’existence, les heurts, les petites cruautés journalières, tout ce qui fait de notre vie un chemin cahoteux et parfois difficile. Mais pendant cette nuit, je me suis senti en profond accord avec ce qui m’entourait comme si j’avais trouvé une place qui, de tout temps, m’attendait.
Mais toujours au même mystérieux signal, il me fallut prendre congé. Tous les deux m’accompagnèrent jusqu’au seuil de leur logis. Il m’apparut au-dessus des hauts murs qui encerclaient cette cour comme une pale lueur, cette lueur qui précède l’arrivée du jour où le coté oriental du ciel se fait déjà plus léger du jour à venir.
Et j’ai gardé en moi cette vision de tous les deux, lui le père portant un chandelier où dansaient doucement les flammes des bougies au soupçon d’un vent nouveau – né, elle, légèrement en retrait, belle et grande dans sa magnifique robe, ses cheveux lui faisant une douce couronne.
Je me dirigeai vers le corridor de sortie que je discernais à peine dans la masse noirâtre des façades aveugles. Au moment de l’emprunter, je me retournais une dernière fois, je ne pense pas qu’ils aient pu me voir mais, d’un geste gracieux, elle leva la main en un geste d’adieu, un geste empreint de cette élégance dont jamais elle ne se répartissait. Je ne le savais pas encore, mais jamais je ne devais les revoir.
A cette heure de la nuit, la rue était quasiment déserte, seul un clochard marchait dans son rêve aviné. Quant à moi, je marchais dans le mien, entre fiction et réalité et le pavé était doux à mes pieds fatigués. J’ai rejoint mon petit appartement et sitôt rentré, j’ai du m’endormir d’un sommeil de plomb comme si j’avais été le jouet de quelque drogue ou de quelque magie.
Le matin l’esprit embrumé, j’ai pris le train à la gare Montparnasse pour rejoindre le lieu de ma prochaine destination : Bordeaux puisqu’il me fallait me rendre dans cette ville pour mon stage de formation ou de perfectionnement, j’y allais dois le préciser sans enthousiasme aucun.
Nous étions début mai 1968, la France s’ennuyait dans une douce quiétude. Mais comme chacun sait, il faut se méfier de l’eau qui dort. Elle allait se réveiller et de quelle façon, mai 68 allait rester dans les mémoires comme un moment où l’histoire se fait, où les événements prennent leurs courses sans que l’intervention de l’homme n’y soit pour quelque chose. Quelques trublions estudiantins avaient mis le feu aux poudres comme on fait un chahut. La république allait vaciller et trembler, le pouvoir au bord de la démission. Le plus grand happening du siècle avait commencé qui allait paralyser pendant plus de deux semaines tout le pays, coupant la province de Paris. Moi qui avais fait projet de revenir vers Paris aussitôt le week-end arrivé, j’allais rester bloqué sur les bords de la Gironde, rongeant mon frein et dans l’incapacité que j’étais de rentrer en contact avec les occupants de l’impasse où allaient la plupart de mes pensées.
Enfin, la pénurie d’essence allait finir par avoir raison de nos plus enragés de révolutionnaires. Quand la France finit par découvrir que venaient les beaux jours et que partir vers la mer ou la campagne allait se trouver impossible en raison de a pénurie de ce liquide nauséabond mais si précieux: l’essence.
Or donc, les choses devenaient sérieuses, c’était la fin de la récréation. Tout allait devoir rentrer dans l’ordre. Et comme en France, tout finit paraît-il par des chansons, on eut droit à une belle " Marseillaise " reprise en cœur par les partisans de De Gaulle sur la place de la Concorde.
Et vite, la vie reprit normalement, les gens purent vaquer à leurs occupations sans plus se prendre pour des Robespierre ou des Danton au petit pied.
Etait bien finie la "comedia". Et je pus reprendre mon train vers Paris et, à peine rendu rue Foyatier, à peine le temps de poser mes valises, je pris le chemin que je connaissais si bien maintenant, le cœur battant.
En atteignant l’immeuble où s’ouvrait le passage vers le tout autre comme je l’appelle maintenant me parut semblable à lui – même, y compris la vieille poubelle un peu bosselée qui traînait encore sur le trottoir. Mais de porte ouverte, point!. La façade était lisse.
Un moment je me suis demandé si j’étais face au " bon immeuble ". J’ai continué quelques pas mais il fallut me rendre à l’évidence. Je n’avais pas fait d’erreur. D’ailleurs le numéro, le 122, était là pour me le confirmer. Évidemment, l’immeuble n’avait ni concierge ni gardien. Je m’arrêtais à la toute prochaine boutique qui était celle d’une marchande de fleurs. Une charmante et accorte personne au demeurant mais qui finit par me regarder avec suspicion quand j’insistais sur ce fameux passage qui pour elle n’avait jamais existé à cet endroit. De guerre lasse, j’ai abandonné ma quête. J’ai tout tenté, les services du cadastre, les services de la mairie, la poste au cas où du courrier aurait pu y être distribué. Mais je me heurtais à un mur, c’est le cas de le dire. Nul ne semblait avoir connu ni le passage, ni l’impasse sur laquelle il ouvrait, sans parler des occupants de la maison
2 commentaires:
Je prends l'histoire en chemin, mais au regard des 2 derniers opus je suis sous le charme...
Va-t-il la retrouver ? J'espère que oui...
A très bientôt
J'ai savouré depuis le début, quel conteur! Merci.
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