30.10.23

Ombres légères

 

 

 

J'ai récemment évoqué ici deux silhouettes féminines qui ont, plus ou moins brièvement, croisé ma vie à divers moments : Colette et une autre jeune femme désignée, faute de mieux, sous le terme vague de tache de couleurs, n'ayant jamais connu ni son nom ni son prénom

Mais revenons à Colette si vous voulez bien. Mes efforts de mémoire ne m'ont rien appris de bien nouveau, mais je suis aujourd'hui persuadé qu'elle ne savait pas que son ami de l'époque serait là à l'attendre à 40 kilomètres de son lieu de destination. Ils devaient probablement se revoir le soir même, mais il n'avait pas su résister à lui faire la surprise de venir à sa rencontre.

 Je lui en avais voulu de ne pas m'avoir prévenu qu'elle ne finirait pas le voyage assise à mes côtés, mais aujourd'hui, je crois qu’elle a été très surprise de voir son ami à cet arrêt de bus et ça explique la hâte qu'elle mit à le rejoindre, me laissant là comme un idiot, mais avait-elle le choix de me donner des explications ? Et pour me dire quoi de surcroit ? De toutes les manières, la prescription s’applique puisqu’elle est décédée ma petite co-voyageuse de cette lointaine époque, mais à force de repenser à ces voyages j’ai en quelque sorte revenir à la vie un personnage bien oublié : Gaston le chauffeur du bus.

Nous nous connaissions depuis plus de 3 ans avec le dénommé Gaston parce que j’empruntais cette ligne pendant mes années de pensionnat. Un type sympa, moins bas-de-plafond que les autres chauffeurs dans lesquels j’inclus mon beau-père, employé lui aussi dans cette même compagnie.

Pour des raisons qui lui appartiennent, Gaston avait donc décidé d’intervenir pour qu’elle vienne s’assoir à mes côtés pour ce trajet de Blois à Châteauroux et dans ce sens-là seulement, elle devait prendre le bus du vendredi soir alors que moi, je prenais celui du samedi matin

Il a dû être satisfait de voir qu’elle prenait place spontanément à mes côtés lors des voyages suivants et là je pense qu’il a commencé à fantasmer sur la suite des événements comme d’imaginer le début d’une histoire d’amour. On en était bien loin.

Mais j’ai fini par comprendre le ton employé par Gaston, qui avait assisté au départ précipité de ma voisine de siège ; un mélange de colère et de dépit et les mots qui furent les siens « Les femmes, on ne peut leur faire confiance » et je me souviens m’être dit qu’il poussait un peu et que ce n’était mon affaire après tout et non la sienne

Je n’avais pas compris justement que c’était tout le contraire et je comprends aujourd’hui la colère et aussi la peine qui enveloppaient son propos. C’était lui la victime ; son beau rêve romantique s’était évanoui et il avait réagi en conséquence. 

                                                                           

L’autre ombre légère qui a longtemps pait partie de mes souvenirs sans que j’y prête grande attention est revenue en force ces derniers temps. Il s’agit de cette jeune femme qui officiait derrière un comptoir dans l’aéroport de Bordeaux-Mérignac à l’aube des années 60 et qui, peut-être, travaillait pour la CCI en qualité d’hôtesse d’accueil, mais je manquais vraiment de curiosité à cette époque et je ne lui ai pas posé la question, mais j’avais pris pour habitude de m’arrêter devant son stand et je crois me souvenir de son sourire qu’elle semblait apprécier ma présence et les quelques mots que nous échangions

6 mois à peu près se sont écoulés depuis ma dernière visite à son comptoir avant que je la retrouve plantée là sur ce trottoir bordelais,
semblant attendre quelqu’un : moi en l’occurrence. Je dis moi, car ce fut ma première pensée quand elle est rentrée dans mon champ de vision et aujourd'hui encore je ne vois pas pourquoi je changerais cette impression. Elle était là pour me voir.

Pour me délivrer quel message, pour me dire quoi ?  Aujourd’hui encore, je n’en sais rien et je ne le saurai jamais. J’habitais dans ces environs-là depuis et elle avait réussi à se procurer mon adresse, l’endroit et l’heure auxquels je passais après ma descente du bus militaire

Elle s’était débrouillée pur se procurer ces éléments et je ne doute pas qu’elle avait appris que, depuis notre dernière rencontre, je m’étais tout simplement marié

 Ce qui changeait tout bien sûr, mais ça ne l’avait pas dissuadée de se tenir là, en attente presque sur mon pas-de-porte, dans la douce lumière d’un printemps fleurissant                                      

Dans cette démarche qui fût la sienne subsistent certes de nombreuses zones d’ombre, mais j’ai eu récemment une sorte d’éblouissement. Cette femme était tombée amoureuse de moi et je n’avais rien vu, rien compris, tout ignoré.

Aujourd’hui, je sais qu’il aurait suffi d’un rien pour que ma vie prenne un autre chemin, un peu plus de hardiesse de sa part, un peu moins de timidité de la mienne. Mais personne n’a fait le premier pas, du moins de manière explicite et on en est resté là

 

 On en est resté à ce moment fugace qui n’aura duré que quelques secondes : elle est entrée dans mon champ de vision, puis je suis arrivé à sa hauteur (lui ai-je fait un signe, un sourire) ? Je n’en sais rien ou je ne m’en souviens plus puis elle est passée derrière moi quand j’ai traversé le boulevard. Elle est alors sortie de mon regard et je ne l’ai jamais plus revue. Faut dire que les événements me concernant sont précipités à cette époque : Problèmes médicaux, convalescence, congés. Je ne suis revenu au travail que début septembre assez longtemps pour que les pistes soient brouillées, rendant plus difficile de me retrouver si toutefois elle a essayé-

 

20 secondes, c’est ce qu’aura duré cette rencontre fortuite. 20 secondes, un rien, une éternité 20 secondes pendant lesquels elle est restée dans mon champ de vision

Puis elle est passée derrière moi et je ne l’ai jamais revue et pourtant pendant 2 ans, j’ai continué à travailler, pas à ses côtés certes, mais pas loin d’elle. En effet. Je n’ai jamais remis les pieds dans l’aéroport où elle officiait derrière son comptoir alors que je travaillais toujours à la tour de contrôle, et ce, durant deux années encore.

 

Il ne me reste que ces quelques mots de cette chanson interprétée entre autres par Mireille Mathieu

 

Je suis une femme amoureuse
Et je te parle clair,

Et tu dois en fait savoir ?
Ce qu'une femme peut faire
C'est mon droit de t'aimer
Et de vouloir te garder

 

 Elle avait dû m’envoyer des signaux lors de nos brèves rencontres, des signaux que je n’avais pas su décrypter jusqu’à ce signal ultime qui consistait à venir s’offrir ou s’exposer sur ce trottoir bordelais et il aura fallu toutes ces années pour qu’enfin je comprenne que cette jeune femme dont j’ignorais même le nom était éperdument tombée amoureuse de moi

De nombreuses questions resteront à jamais sans réponse, mais j’aurais aimé savoir comment elle avait réagi après cette brève rencontre et, si elle encore de ce monde, s’il lui est arrivé d’avoir une pensée pour ce jeune homme étourdi, un peu tête en l’air, qui n’avait pas su voir les sentiments dont il avait été l’objet

 

Ombres légères

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