6.2.06

L'impasse

Je me suis amusé à écrire ce petit texte sans prétention aucune. Toute critique, voire toute correction par ceux ou celles qui me feront l'amitié de le lire seront les bienvenues


L’IMPASSE












Il existe dans Paris des endroits préservés du temps et de ses outrages, des endroits connus pratiquement des seuls initiés, de ceux que leurs pas amènent devant des portes cochères dont il faut attendre parfois l’ouverture et les franchir sous l’œil suspicieux d’un gardien ou d’une concierge: Je parle de tous ces passages, ces impasses qui fleurissent dans beaucoup d'arrondissements, particulièrement dans le XI et le XIIème, dans ces endroits industrieux, peuplés d’artisans ou d’artistes et quelquefois la frontière est bien difficile à tracer entre les deux catégories.

Enfin, une fois franchie la porte, parfois encombrée de poubelles qu’il faut pousser de la main ou de vélos munis de chaînes antivol, on se retrouve dans un îlot oublié, loin de l’agitation et du bruit de la rue: Les voitures ne peuvent venir jusqu’ici et on se retrouve miraculeusement dans un Paris du dix septièmes ou dix huitièmes siècles, une cour faite de pavés inégaux que des chevaux ont du fouler avant qu’ils ne soient remplacés par cet accessoire indispensable de notre civilisation moderne, la voiture la bagnole sacralisée avec toutes ses exigences et sa sournoise pollution.

Dans ces charmants endroits, la glycine et le lierre se lancent à l’assaut de façades au teint grisâtre et où quelquefois se distingue encore le cadran d’un cadran solaire qui met une note de gaieté dans ce décor un peu austère. Des façades laissent voir de grandes baies vitrées parfois envahies de vénérables toiles d’araignées, de coquettes maisons de ville s’insinuent, mine de rien, comme par excuse, entre de hauts murs qui gardent le souvenir du passage d'un juvénile saute ruisseau ou d'un voyou de barrière et où Pierre aime toujours Lili. Ces attendrissants graffitis, frais et naïfs avant que nos modernes taggeurs viennent gâcher, polluer avec leurs bombes à peinture d’innocents murs qui ne leur ont rien fait, pour le seul plaisir de saccager, de détruire, dans l’impossibilité qu’ils sont de penser qu’ils pourraient construire au lieu de détruire

Impasse Mouysset, du côté de la place Daumesnil, passage de la Main d’or, cour du Bel air ou de la Maison brûlée dans le Faubourg, passages qui font parties de mes pérégrinations matinales et vespérales et où pendant un instant je me prends à rêver entre deux tiges de bambou, un brin d’asphodèle ou un attendrissant jardin pas plus grand qu’un mouchoir de poche où un propriétaire cultive amoureusement 2 touffes de persil ou un brin de thym et même une pousse de tomates qui, vaillamment, enfante de rachitiques fruits qui n’auront jamais le temps de mûrir, rattrapés qu’elles seront par les premiers frimas d’automne.

J’aime ces endroits particuliers, ignorés du temps, des touristes et de la grande foule qui arpente les trottoirs d’un air affairé et la plupart du temps renfrogné. Je les considère comme mon jardin secret pour leur charme suranné mais aussi pour une autre raison que je veux maintenant te conter…

A cette lointaine époque, c’était en 1968, juste avant que Paris ne connaisse un de ces accès de fièvre dont elle a le secret et qui déconcerte tant l’étranger mais qui fait partie de l’un de ses charmes. Un accès qui, souvent et mystérieusement est en résonance avec des pulsions puissantes et universelles : 1789 et la cascade de révolutions qui l’ont précédée ou suivie, en est un frappant exemple. Mais en ce début de printemps, la France somnolait en une trompeuse quiétude, la France s’ennuyait, repue, satisfaite, goûtant pour la première fois depuis la fin de la guerre, les fruits de sa reconstruction après toutes les horreurs du second conflit mondial et les années difficiles qui lui avaient succédé.

J’ai donc avancé un pas précautionneux puis un autre, le passage, après une courte distance butait sur un mur aveugle, l’obscurité devenant plus forte de sorte qu’à un moment je fus sur le point de faire demi- tour mais il me sembla bien que le chemin tournait vers la gauche à angle droit, je décidais donc de poursuivre, les murs s’étaient resserrés au point de ne me laisser à peine le passage, l’atmosphère me paru lourde, d’une odeur puissante avec un rien de ce relent un peu acide de salpêtre et d’autres molécules plus indéfinissables et volatiles, le tout, étrangement pas désagréable.

En poursuivant, je distinguai une lueur sur ma gauche, des murs gris s’élevaient hauts et aveugles au-dessus de moi et soudain, je débouchai sur une cour intérieure toute baignée d’un généreux soleil. Il me sembla bien qu’à ma gauche une grande bâtisse sur la façade de laquelle on pouvait encore lire le mot "fabrique " était depuis longtemps abandonnée, certaines vitres manquaient pendant que d’autres laissaient voir d’impressionnantes toiles d’araignées telles des guirlandes d’une fête depuis longtemps terminée.

Plus loin, devant moi et barrant complètement l’impasse, une haute barrière constituée de hauts piquets de bois pointus au-dessus desquels s’élevait une végétation d’arbustes et de buissons fous.

Évidement, la cour, relativement large, était couverte de pavés disjoints, certains brillants comme à force d’usure et au milieu desquels on apercevait de ça et là des touffes d’herbes hautes qui poussaient à l’endroit où ils avaient trouvé un peu de terre pour croître. Mais le plus étrange était le silence, palpable, comme retenu. Un silence lourd, complètement incongru à quelques pas de l’agitation et des bruits de la circulation que je venais de quitter quelques instants auparavant.

J’habitais alors dans un tout petit logement au bas de la butte Montmartre, rue Foyatier qui monte directement vers le Sacré-cœur, ce" pieux crachat à la gueule des fusillés" tel que l’a qualifié je ne sais plus quel poète en colère.

Il faut dire que la bâtisse n’a rien d’esthétique avec ses faux airs de basilique byzantine, ses clochetons et cet air guindé et préfabriqué dont elle ne parvient pas à se défaire et qu’elle est bâtie à l’endroit où se sont déroulées certaines des pages les plus sanglantes de l’histoire de Paris au moment de la Commune où la haine entre catégories sociales conduisirent à des massacres et tueries entre des foules aveuglées par des rancoeurs de classe mais notre siècle de "progrès " allait en connaître bien d’autres

Je vivais donc à deux pas du Sacré cœur que je vois aujourd’hui chaque jour de mon balcon puisque j’habite de l’autre côté " de Paris mais où je ne me rends presque jamais : Paresse, lassitude ou quelque chose d’autre…


A SUIVRE


Aucun commentaire:

Ombres légères

      J'ai récemment évoqué ici deux silhouettes féminines qui ont, plus ou moins brièvement, croisé ma vie à divers ...