16.2.06

Attention à l'atterrissage

Attachez les ceintures, atterrissage dans quelques secondes...




Enfermé dans sa salle radar et face à ses écrans, Le Verrier, lui, ne voyait rien de tout cela; il pouvait très bien cependant l'imaginer car le contrôleur à la tour venait de lui rendre compte de la mise en place de tout ce dispositif.

  • Bien, vous avez allumé le balisage? Pensez également à vérifier le fonctionnement de la rampe d'approche.
  • J'ai tout vérifié, mon lieutenant, tout est O.K.

Toutes les diverses mesures de sécurité ayant été prises, il ne restait plus qu‘à ramener Régate 63 en vue de la piste. Et de cela, Le Verrier avait hâte.

Sans savoir pourquoi, il se sentait mal à l’aise, il se secoua, il ne devait n’y avoir aucun mystère, le plan de vol réglementaire et obligatoire n’avait pas été transmis, c'était la raison pour laquelle cet avion n'était pas attendu à D... Des négligences avaient sans nul doute été commises mais on réglerait tout ça demain matin.

Il se concentra sur son scope radar, l'écho était maintenant à 20 kilomètres. Pour le moment et conformément aux procédures en vigueur, l'avion avait arrêté de descendre et avait stabilisé sa trajectoire. Le pilote profiterait de cela pour réduire sa vitesse et sortir son train d'atterrissage.

  • Régate 63 de D... approche, vous arrivez à 18 kilomètres, vérifiez train sorti.
  • Régate 63. Je confirme: Train sorti.

La partie finale du travail commençait, c'est-à-dire que Le Verrier allait devoir parler pratiquement sans interruption afin que le pilote soit tenu constamment au courant de son cap, de sa distance par rapport au seuil de piste et de sa position en descente.

Pour ce faire, Le Verrier avait tourné son fauteuil et faisait face à un autre radar qui ne détectait que dans un secteur déterminé de l'espace mais en revanche donnait une vue beaucoup plus précise de l'avion en hauteur et en azimut.

Pendant que le pilote faisait ses vérifications, l'avion s'était rappro­ché et était alors à une distance de 13 kilomètres.

Le Verrier jura doucement car l'écho était de plus en plus difficilement discernable el il fallait les yeux d'un contrôleur entraîné pour pouvoir suivre sa marche sur l'écran qui luisait fai­blement d'une luminosité verte.

Dans quelques instants, il allait couper la ligne oblique qui représentait la ligne idéale de descente. A ce moment, il suffirait de lui faire commencer son approche finale qui l'amènerait, sans que le pilote ait à regarder dehors, à enfin toucher des roues sur la piste.

Dans sa cage vitrée, le contrôleur de quart à la vigie avait pris ses jumelles. Sur ses

haut-parleurs, il avait l'écoute de ce qui se passait au-dessous de lui, c'est-à-dire à la salle radar. Il savait donc lui aussi que dans moins de 2 minutes, l'appareil devrait normalement passer les feux qui marquaient le début de la piste.

Il regarda dans ses jumelles mais ne vit rien ; des nuages continuaient à obscurcir le ciel et le plafond était encore assez bas, aussi ne fut-il pas étonné de ne pas voir les feux de signalisation réglementaires, rouges et verts, de l'appareil en finale

Tout se passa en une fraction de seconde et Le Verrier, sur le moment, en resta sans voix puis, simultanément, II vérifia le bon fonctionnement de son radar et, à la radio, appela le pilote.

Apparemment, tout semblait être en service normal. Mais, indiscutablement, à part les échos fixes, plus aucun écho de l'avion n'apparaissait sur son écran.

  • Régate 63 me recevez-vous? Répondez.

A la radio, il n'eut pas plus de succès. Il lui sembla bien entendre, juste après son premier appel, une voix lui répondre, mais il n'en fut pas absolument certain car le son lui était parvenu comme si son interlocuteur était déjà à une distance incroyablement grande.

Il appela encore plusieurs fois, il perçut quelques grésillements dans ses écouteurs et puis tout devint silence. Quelques secondes, il resta assis devant son radar, la voix du contrôleur de la tour le fit sursauter.

  • Mon lieutenant, j'ai regardé avec les jumelles, je viens de passer le nez à l'extérieur, mais il n'y a aucun bruit de réacteur en l'air. C'est vraiment bizarre, mais l'avion semble s'être volatilisé.

Le Verrier fut tout à fait de cet avis. Il passa une partie de sa nuit à donner des coups de téléphone aux différentes stations radar mais aucune ne connaissait cet indicatif.

Régate 63 n'avait contacté personne sauf D... approche, cet indicatif n'apparaissait nulle part.

Pourtant, iI ne pouvait s'agir d'une illusion ou d'un rêve. Dans la salle d'approche maintenant silencieuse, l'exploration du ciel continuait de la même façon. Le journal qu'avait lu l'officier quelques minutes auparavant se trouvait toujours à la même place.

Tout était en ordre, tout avait l'apparence de l'ordre; dans le fauteuil, devant le radar où la «chose» s'était produite, Le Verrier s'assit et frissonna.

L'informulable, l'inexplicable, devant ses yeux venait de se produire et de minuscules frissons courraient sur sa nuque. Il ne put fermer l'œil de la nuit, il resta seul dans la salle. Les pompiers rejoignirent leur casernement, le sergent qui veillait avec lui vint lui dire bonsoir.

Il ne se passa plus rien dans les heures qui suivirent mais quant l'aube arriva il poussa un véritable soupir de soulagement. Les phantasmes de l'ombre disparurent, les choses reprirent leur aspect normal.

Par acquis de conscience, un avion décolla afin de refaire la trajectoire suivie par l'écho de la veille, le pilote ne remarqua rien d'anormal. Sur les indications de Le Verrier, il regarda plus particulièrement à l'endroit où ce dernier avait vu se produire l'écho disparaître de l'écran radar, mais là non plus, rien de spécial ne lui fût visible, aucune trace d'une épave au sol.

Rien nulle part, Régate 63 avait disparu, totalement, Le Verrier n'osait pas dire définitivement. Quelque, brièvement, était sorti du royaume des ombres puis y était reparti. Tout cela était fou et défiait le bon sens le plus élémentaire mais que faire de plus? Que dire de plus?

Bien sûr, on lui demanda de rédiger un rapport détaillé des événements de la nuit, une commission d'enquête vint à D... Elle procéda à l'écoute de la bande d'enregistrement radio; les échanges entre le pilote et le contrôleur y apparaissaient clairement et distinctement.

L'incident fût classé sans que personne n’apporte un semblant d'explication à ce qu'on appelait maintenant le mystère de la fréquence 23.

Peu à peu, toutefois, l’affaire tomba dans l'oubli et Le Verrier continua son travail comme il le faisait depuis de nombreuses années.

Pourtant, II fut un jour convoqué par l'un des participants à la commission d'enquête.

Celui-ci voulait lui faire part d'un fait que l'on avait découvert quelque temps après.

Régate 63 n'était pas un indicatif inventé de toutes pièces : il avait appartenu à une escadre voilà une dizaine d'années, mais le plus troublant était que cet indicatif était celui d'un pilote qui avait disparu au cours d'une mission au-dessus de la Méditerranée sans que l'on ait retrouvé quoique ce fût de lui ou de son avion.

A l'écoute de la bande audio, un de ses anciens camarades d'escadrille que l'on avait pour un temps enlevé à sa retraite avait cru pouvoir reconnaître le timbre de voix de son camarade, Régate 63, en particulier, par ce léger défaut de prononciation, qui le faisait hésiter devant certaines lettres ou certains chiffres mais c'était il y a si longtemps et pour lui, ça ne souffrait
aucune discussion, son ami et son avion s'étaient abîmés en mer.

Ceci était évidemment un élément de plus à verser au dossier de l'affaire mais, malheureusement, il n'expliquait rien. Au contraire, il ne faisait qu'épaissir le mystère.

Le Verrier a continué à contrôler des avions, mais maintenant en s'arrangeant pour ne plus faire de veille en solitaire la nuite et quand il entend des grésillements à la radio, il appelle aussitôt et sans hésiter le technicien radio pour intervenir sur les appareils de transmission.

Il est possible que les fantômes aient peur de la mécanique, ces fantômes qu'un certain lieutenant Le Verrier ne trouvait pas très sérieux en plein vingtième siècle

2 commentaires:

Anonyme a dit…

Ce que j'imagine ! Le pilote de Régate 63, prisonnier de Calypso depuis une dizaine d'années a réussi s'échapper, a retrouvé son avion enfoui sous des arbres, a tenté de s'approcher d'une base pour atterrir mais ... Calypso ne lui en a pas laissé le temps ...

claude a dit…

Va donc savoir où il était passé notre brave pilote. Dans les bras de Calypso comme tu le suggères et puis il a eu comme une envie de retrouver ceux tout aussi doux de sa simple terrienne de copine ou femme.
Tu me donnes une idée, dans le fond, je pourrais peut être essayer d'envisager une suite à ma petite histoire :-)

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