9.2.06

Encore un. Patience!


L’IMPASSE

SUITE 3

Je répondis aux questions que mon interlocuteur se mit alors à me poser, questions nombreuses et pour certaines curieuses bien que je m’efforçasse à ne rien en montrer.

Combien de temps restais–je en cet endroit, je ne pourrais le dire, mais curieusement, à un certain moment, sans qu’aucun signal perceptible n'eut été donné, il me sembla nécessaire de partir et c’est avec le maître des lieux sur les talons que je me dirigeais vers la sortie.

En franchissant le seuil, je fus surpris de voir que le soleil était passé derrière les hauts murs qui encerclaient la cour qui était déjà plongée dans l’ombre. A ma grande stupéfaction, je me rendis compte que ma présence avait excédé plusieurs heures.

Je refis le chemin à l’envers, le couloir sombre, je devrais dire plutôt le passage étroit ouvert entre les hauts murs et que l’obscurité me fit ressentir comme encore plus étroit. Je débouchais enfin sur la rue que j’avais quittée en début d’après midi, des ménagères, baguette à la main, se hâtaient vers leurs appartements, des hommes en costume strict, l’air fatigué ou concentré venaient certainement de finir leur journée de travail.

Vision traditionnelle d’une rue de Paris au moment où il est temps de rejoindre enfin ses pénates. Je me suis donc mélangé à cette petite foule mais avec un sentiment d’être à coté, de devoir faire un effort pour me fondre en elle comme je le faisais si bien à la fin de mon travail : J'ai ressenti l’impression d’être en quelque sorte étranger comme lorsqu’on revient d’un très long voyage qui a duré longtemps avant que l’on ait retrouvé ses marques.

Bien évidemment, je n’ai eu de cesse que de revenir vers cet endroit mystérieux.

J’y allais par le même chemin qui d’ailleurs était le seul possible pour accéder à cette cour intérieure. C’est bien plus tard que je me suis rendu compte que je m’y suis toujours retrouvé seul comme si j’étais le seul à pouvoir en discerner l’accès.

En tout état de cause, au moment où j’arrivais à hauteur de cette maison en retrait, du même mouvement de rotation, souple et silencieux, la porte s’ouvrit comme si j’étais attendu. Je vis tout de suite le visage souriant de mon interlocuteur d’hier, avec la même mise, la même redingote et les mêmes souliers à boucle d’argent.

Je répondais donc à son invite pour pénétrer une nouvelle fois dans le corridor, plongé dans le clair–obscur avec son dallage irrégulier de dalles noires et blanches. La même odeur pénétra mes narines et comme le jour précédent, je suivis mon hôte jusqu’à son cabinet de travail.

Il me servit à nouveau du même breuvage du même flacon de cristal. Pour la première fois, je remarquai sur une sorte de buffet bas, une horloge ancienne portant une allégorie assez compliquée de chevaux et de visages féminins. Un balancier fait d’un métal doré battait la mesure de part et d’autre pour rythmer le mouvement des engrenages et rouages intérieurs. Je crus remarquer que ce va et vient n’avait pas la périodicité normale que l’on a l’habitude de voir sur des horloges de ce genre. Sur l’instant, je n’y accordais pas d’importance mais chaque battement écoulé me parut mesurer beaucoup plus que la durée d’une seconde comme il était censé le faire.

Soudain, comme le jour précédent, le violon se fit entendre, comme si on avait attendu que je sois installé dans le fauteuil de velours vert, avec la même incroyable douceur, les notes s’insinuant dans chaque recoin de la pièce qui en comportait beaucoup, transformant peu à peu cet endroit en chambre sourde, pacifiant, aplanissant tous les angles. Une musique pour rêver, pour voyager immobile, une musique qui pénétrait dans toutes les fibres de mon corps et qui le faisait résonner à chaque coup d’archet de celle qui, quelque part dans la maison, dessinait ou sculptait ces plaintes et ces appels dans lesquels je trouvai une résonance et un écho qui me bouleverse encore aujourd’hui.

Celle qui caressait l'archet de cette sorte devait avoir un talent tout à fait particulier et son violon lui–même devait posséder une âme hors du commun, peut être un Stradivarius de haute époque, un Stradivarius apte à communiquer les émotions les plus profondes, les états d’âme les plus intimes et tout cela était proprement bouleversant.

Mais ce qui était encore plus bouleversant était ces incroyables rapports comme si de toute éternité, j’étais partie de cette singulière famille, comme si un lien puissant et mystérieux m’attachait à ce père et à sa fille que je n’avais même pas encore vue.

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