L’occasion ne se présentât jamais.
Au début du mois d’octobre, les rentrées scolaires se faisaient tard en ces lointaines périodes, les enfants reprirent à nouveau le chemin familier de l’école.
Toutefois, certains des plus grands, titulaires du précieux parchemin que constituait alors le certificat d’études primaires, allaient pouvoir partir soit se placer en ville comme on disait alors soit poursuivre d’autres études au collège pour les plus brillants ou plus chanceux d’entre eux pendant que des plus petits prenaient à leur tour le chemin de l’école.
Ainsi se déroulait la vie selon un rite immuable et rassurant, une génération remplaçant l’autre qui elle-même partait vers un autre destin bien souvent tracé à l’avance
Ce fût dans les premiers jours de novembre qu’ils arrivèrent. Oh, ce fut un bien modeste convoi: Une voiture noire dan laquelle avaient pris place deux hommes en tenue militaire et deux autres en tenue civile suivis d’un gros camion recouvert d’une bâche grisâtre et crachant une lourde fumée noire
Les deux véhicules s’arrêtèrent devant la modeste grille de l’école.
Le temps soudain semblât s’arrêter et dans les regards que s’échangèrent instantanément l’enfant et l’adulte, la maîtresse et l’élève, ce furent deux femmes qui communiquèrent dans un échange d'une intensité brève mais si intense que l'institutrice en défaillit presque.
Chacune d'elles avait immédiatement compris précisément de quoi il s'agissait. Tous les autres enfants présents dans cette salle surent eux aussi qu'un événement grave et sur lequel nul d'ici n'avait aucune prise était en train de se produire sous leurs yeux et ils se figèrent tous dans l'attente de l'inévitable.
Précédés par le directeur, un homme habillé de noir entra dans la salle
-Sarah Weinstraub!!! Ce furent ses seuls mots
Sans dire mot, Madeleine / Sarah se leva et commença à rassembler ses affaires: Livres, cahiers et classeurs divers éparpillés sur le pupitre
-Inutile!!!Le mot claqua comme un coup de fouet
Sarah / Madeleine se leva donc et le suivit sans un regard pour les autres élèves, levés eux aussi, sans regarder madame Millet, debout derrière son pupitre immobile comme une statue et qui, en quelques instants, avait semblé vieillir de plusieurs années
Dès la porte refermée, tous se précipitèrent aux fenêtres pour encore les voir un peu.
On les vit donc traverser la cour: Deux minces silhouettes encadrées par deux grands soldats qui, à leur côté, paraissaient immenses avec des fusils à l'épaule
Arrivés à l'arrière du camion, l’un des deux souleva la petite pour la faire monter comme il aurait pu le faire d'une plume pendant que son frère qui lui avait lâché la main se débrouillait pour monter seul dans ce véhicule tellement haut pour des jambes d'enfants
Une fois tout le monde à bord, le convoi démarra immédiatement. Pendant un bref instant, les deux classes rassemblées avec leurs enseignants derrière les vitres des fenêtres purent apercevoir l’ovale pale de deux visages contre l’obscurité profonde du fond du camion puis les véhicules accélérèrent, prirent la route à droite de l’école et disparurent aux yeux des enfants et de leur maître et maîtresse et le silence se fit dans la petite école
Sur une table, au premier rang de la classe et sur la droite, des cahiers et tout le matériel pour travailler gisaient là comme autant de plumes tombées d’un oiseau touché en plein vol et qui s’éparpillent sur un sol indifférent
Ce jour là, les cours se terminèrent plus tôt que prévu et les enfants, pour une fois, sortirent en silence avant de revenir chez eux
Peu à peu, après le choc initial, lentement, la vie reprit son cour malgré tout mais sans que rien ne soit plus jamais comme avant.
Un rire qui semblait escalader les murs manquait cruellement à tous, adultes compris comme manquait ce drôle d’accent qui traînait dans la voix des deux enfants comme un foulard flottant au gré d'un vent léger d’été
André fut très long à se remettre de l'absence de sa voisine. Madame Millet, au bout de quelques jours, finit par demander à Marie si elle voulait bien venir s’asseoir à ses côtés au premier rang. Elle ne fit aucune difficulté. Simplement, elle demanda que la table qui avait servi à Madeleine lui fût changée et ce fût tout
Les affaires restées sur la place furent mises dans la grande vitrine du fond de la pièce et qui sert de réserve à fournitures diverses.
Elles y sont restées très longtemps et pendant longtemps aussi, des mains charitables y sont venues pour doucement y enlever la couche de poussière accumulée au fil des jours
La grande maison de mademoiselle Dorange est restée longtemps fermée après son départ, elle aussi, entre deux soldats. Nul ne l'a jamais revue ici.
Finalement un jour, un couple étranger au village est venu occuper cette grande maison et il y est encore et leurs propres enfants vont à l’école du coin...
A suivre
2 commentaires:
Emotions, frissons, rébellion...
Je n'ai jamais compris. J'ai pourtant cherché, mais ça me dépassera toujours.
on ne pourra jamais comprendre la barbarie d'où qu'elle vienne et à quelque époque que ce soit
Grosse bises
Claude
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