11.3.06

L'Inde et ses femmes


L’Inde, j’en ai parlé à diverses reprises dans ce blog.

Ceux qui m’ont lu savent donc que j’ai eu la chance d’y vivre pendant quelques années. J’en ai gardé un souvenir ébloui et pendant longtemps, les paysages, les couleurs, la féerie des fêtes, celles des couleurs, holi, et plus importante encore car plus gaie aussi et remplie de symboles à tous les coins des rues : Celle des lumières, diwali, l’équivalent de notre Noël à nous en quelque sorte et en moins mercantile

En contraste, bien sûr, j’y ai vu aussi la surpopulation, l’extrême pauvreté côtoyant l’extrême misère, la violence dans les rapports humains, la pollution etc.

L’Inde, pays des differences extrèmes dont les occidentaux que nous sommes ne sortent pas toujours indemnes et c’est un peu mon cas

Pour résumer ceci, quelques chiffres : 1 milliard (environ) d’habitants dont environ la moitié au seuil de pauvreté ou en dessous, une démographie qui lui fait rajouter 28 millions d’habitants par an, une Australie supplémentaire en quelque sorte en termes de population

L’Inde, un pays démocratique avec le système immémorial des castes toujours très présent, une presse libre et indépendante et des élections avec un fonctionnement des institutions démocratique, au moins en apparence.

Mais l’Inde, un pays qui partage avec sa voisine la Chine, une curieuse particularité : Ces deux pays ont un ratio de population où l’élément masculin possède l’avantage. En d’autres mots, il y a en Inde comme en Chine, plus d’hommes que de femmes.

Je ne m’étendrai pas sur la Chine qui ne rentre pas dans mon domaine de compétence mais sur l’Inde.

Soyons clairs, je ne suis ni démographe, ni ethnologue ni psy quelque chose, simplement un observateur qui a essayé de comprendre sans juger le paysage humain qui l’entourait.

Je vais donc vous faire part de la condition des femmes dans ce pays, vous faire part de ce que j’ai vu, lu ou cru comprendre et qui concerne ces femmes dont le jour a été célébré voici peu et qui, à juste titre souvent, fait grincer les dents à beaucoup de nos compagnes. Pourtant est elle aussi gadget qu'on le prétend quand on voit la situation faite aux femmes dans de nombreux pays du monde, le notre ou ses voisins occidentaux n'étant pas exempts de reproches je le concéde mais je vous invite à vous pencher sur la situation indienne sans comparaison quand même à celle qui prévaut dans nos sociétés de cette partie du monde où nos vivons

Pour commencer, qu’il soit bien clair que le mariage d’amour de nos sociétés occidentales est inconnu en Inde

Ici, un mariage est avant tout un contrat signé entre deux familles où les mariés n’ont en général que peu ou pas grand-chose à dire. Ceci n’empêche d’ailleurs pas qu’hommes et femmes peuvent former des couples heureux et harmonieux au moins autant que sous nos cieux si rien ne vient perturber cette harmonie

Autre détail, les mariages obéissent strictement aux signes astrologiques, non seulement pour la date du mariage mais aussi pour les mariés eux-mêmes dont les signes et la position des planètes à la naissance doivent être parfaitement complémentaires.

Il suffit de lire les annonces matrimoniales qui remplissent des pages dans la presse nationale et régionale classées par castes, par signes zodiacaux de degré d’éducation etc. pour avoir une idée du phénomène

Pour l’anecdote, il existe même une catégorie née sous de tellement mauvais auspices qu'elle constitue une classe à elle seule et qui le signale afin d'éviter tout malentendu et pouvoir "tomber" sur un équivalent né sous la même mauvaise étoile. Peut être alors comme en mathématiques que – par – finira par faire +.

Enfin, toutes les conditions requises étant remplies, le mariage fait l’objet d’un contrat entre les familles et c’est là que nous abordons cette plaie de l’Inde que constitue le système de la dot ou dowry comme on dit là-bas

Le principe en est simple : Les frais incombant au mariage sont à la charge de la famille de la mariée

Quand on voit le luxe ostentatoire des mariages, ceci se traduit par des engagements financiers considérables amenant les familles à s’endetter souvent à vie

Mais, les contrats de mariage ne concernent malheureusement pas que la cérémonie elle-même et s’étend bien au delà: Les familles s’engagent à fournir au marié ou/et à sa famille des sommes d’argent ou des objets de consommation courante.

Lors de ma présence, les magnétophones et les scooters étaient particulièrement populaires. Je pense qu’aujourd’hui, les choix ont du évoluer avec le temps et se porter sur des ordinateurs dernier cri ou autres gadgets à la mode

Autre détail mais qui a son importance, la jeune mariée lors de son mariage quitte en principe définitivement sa famille d’origine et passe sous la férule entire et totale de sa belle-famille.

C’est ainsi que son sort, si le marié décède en premier, sera entièrement sous le contrôle de sa famille d’adoption et elle a toutes les chances de se retrouver servante à vie au profit de sa famille d'"acceuil" sans aucune forme de rémunération

Si tout va bien, c'est-à-dire si les termes du contrat sont respectés, en d’autres termes si les « mensualités » ou engagements financiers sont correctement honorés, les choses se passent bien ou pas plus mal que sous nos cieux en tous les cas

Mais que les termes du contrat en viennent à n’être pas respectés, alors là tout change et c’est là que l’on peut mesurer toute la perversité du système de la dowry.

La victime immédiate et toute trouvée est la jeune épousée sur laquelle s’acharne le mari mais bien plus souvent et principalement la belle mère : Coups, harcèlement de toute sorte, dans le but de faire pression sur la famille adverse qui souvent ne réagira pas. Je rappelle que l’épouse est sensée avoir définitivement quitté sa famille d’origine sans espoir de retour

Les conséquences en sont aussi terribles qu’expéditives conduisant souvent au suicide la malheureuse et si celle-ci ne se montre pas « compréhensive » alors, il reste la solution de l’assassinat pur et simple.

Le nombre de femmes prenant « spontanément » feu dans leur cuisine est extraordinairement élevé en Inde. En réalité, la pauvre femme est souvent arrosée d’essence ou autre liquide inflammable et meurt généralement dans d’atroces souffrances.

Il faut savoir que le système judiciaire indien est ainsi fait qu’à défaut de plainte déposée par la victime, il n’ y aura pas en principe d’enquête et la famille du veuf n’aura plus qu’à se mettre en quête d’un autre parti.

Il faut rendre justice à la presse indienne qui relate souvent ces faits pour s’y opposer et réclamer des mesures pour enrayer ces coutumes barbares mais sans grand succès jusqu’ici à ma connaissance tout du moins.

On ne fait pas aussi facilement bouger les mentalités dans un pays aussi immense qui, je le rappelle, est celui du sacrifice ou sati, cette pratique qui exigeait que les veuves se jetassent de leur plein gré dans le bûcher funéraire de leur défunt mari puisque la religion indoue demande l’incinération des corps après la mort.

Il semblerait que cette pratique existe dans certains coins du Rajasthan voire ailleurs et que les autorités au moins officiellement s’y opposent avec vigueur. Je me souviens toutefois d’un cas relaté par la presse ù une jeune femme manifestement droguée avait été l’innocente victime de cette monstruosité et des photos de la malheureuse avaient circulé dans la presse

Alors, quelles sont les conséquences de ce système inique infligé aux femmes indiennes ?

De manière paradoxale il conduit à la surpopulation d’une part et à ce ratio défavorable aux femmes d’autre part que j’évoquais plus haut

Surpopulation d’une part car, mettez vous dans la situation d’une famille où naissent par exemple trois filles. Cette famille n’aura qu’une idée en tête, pour rentrer dans ces fonds, si je peux oser cette expression, c’est de faire naître trois garçons qui ramèneront en principe une somme d’argent équivalente à celle dépensée pour les filles. Je simplifie bien sûr mais l’idée générale est là

Ratio déséquilibré d’autre part. Mais les familles préfèrent souvent ne prendre aucun risque et c’est ainsi que bien des bébés de sexe féminin sont supprimés à la naissance ou peu de temps après par les méthodes les plus artisanales, noyade ou étouffement, ou par d’autre, plus élaborées comme celle qui consiste pour les mères à s’enduire le bout des seins d’une bouillie à base d’opium par exemple qui finit par tuer le bébé par overdose

Mais les techniques modernes, écographies entre autres, épargnent de nos jours ces soucis aux familles en éliminant par avortement une bonne partie des fœtus de sexe féminin.

Bien souvent, cette décision de vie ou de mort est prise par les mères tenant compte de la future dot à payer mais sachant aussi que dans la famille, le garçon sera systématiquement favorisé par rapport à ses sœurs : Taches domestiques, études, soins médicaux etc. Les mères donc auront tendance pour toutes ces raisons à prendre des décisions que dans d’autres circonstances elles n’auraient probablement pas prises ne désirant pas voir leur descendance féminine subir le même sort que le leur.

Il reste à espérer que le temps passant, les mentalités évolueront, c’est déjà le cas semble t’il dans les couches de population les plus favorisées et dans certains groupes religieux, les Jaïns par exemple mais dans ce peuple immense et varié mais soudé à 85% par une religion qui est l’Indouisme, la tâche est gigantesque et les progrès dans ce domaine et à nos yeux d’occidentaux n’en seront que désespérément lents




Mais après ces quelques lignes, il est une vision plus idyllique et attachante de ce pays dont je ne voudrais pas vous priver car heureusement elle existe aussi résumée dans le texte qui suit :


INDE

J’ai vu les matins de bleu et de rose
Les femmes cheminant pour quérir l’eau
J’ai vu les paons prendre la pose
Et le pigeon gris faire le beau.
Au loin montent les Arawallis.
Sur la route, tout nu, marche un yogi
Entre Pendjab et Rajasthan
Un mahut guide son éléphant.

Du côté de Jaipur, de Madras ou de Srinagar
Tout au long des plates côtes de Malabar
Sur la route toute blanche sèche le paddy
L’Inde sans hâte s’éveille au soleil sans merci

Avec ses dieux et ses mendiants loqueteux
Dans sa poussière et son bruit monstrueux
Les femmes marchent belles dans leurs saris
Au bord des ruelles sales se prépare le carry

En haut du minaret, à l’invite du muezzin
Ou encore du côté du temple hindou
L’Inde se met à l’écoute de ses gourous
S’en revient en priant vers ses origines
Invoque Vishnu, Allah ou Ganesh.
Il s’appelle Om-Prakash ou Rakesh
Elle est Indira ou encore Priyanka
D’Amber à Rishikesh de Puné à Kolka
L’Inde s'abandonne à ses dieux
L’Inde qui pleure et rit entre eau et cieux.



Claude

4 commentaires:

Anonyme a dit…

Merci Claude pour ce billet dur et doux, noir et coloré, de l'Inde dans tous ses contrastes (terribles parfois)

claude a dit…

Bonjour, Traou. Eh, oui! L'Inde terrible et magnifique et que tu as su capter subtilement dans tes récits et tes photos

Anonyme a dit…

coucou!

Je suis d'origine indienne. Je retourne pour 8 mois à Madras, revoir ma famille biologique. Je comprends pourquoi j'ai été abandonnée. Heureusement, je suis française. Je peux déjà supprimer mes débardeur dans la valise et enlever mes jeans sérrés. Merci de tes conseils.

Anonyme a dit…

je viens de lire un article en ligne sur la discrimination que tu racontes et qui a des conséquences terribles, un énorme déficit de femmes en Inde (et dans toute l'Asie):
http://www.lesquotidiennes.com/droits/r%C3%A9vision-il-manque-d%C3%A9sormais-163-millions-de-femmes-en-asie.html

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