20.5.07

La rupture




Les deux photos sont tombées d’un dossier coincé dans le fond d’un placard. Deux photos en noir et blanc de mauvaise qualité. Il faut dire que je ne suis pas un photographe exceptionnel et il faut se replacer à l’époque avec un matériel bien loin des performances que l’on trouve communément aujourd’hui dans le moindre des appareils d’aujourd’hui

« Le voile noir du malheur ». L’expression est certes mélodramatique je vous l’accorde mais elle m’est venue spontanément à l’esprit pendant que je regardais les deux épreuves alors que le passé me revenait brusquement en mémoire….

Nous avons passé la frontière à Menton le matin de bonne heure. A l’époque, passer une frontière était tout un cérémonial et on se demandait toujours si par hasard il n’y aurait pas eu un truc quelconque qu’on aurait du déclarer.
Aujourd’hui, on passe d’un pays à un autre sans même que l’on s’en aperçoive. Ce n’est que plus tard, à la lecture des pubs ou des enseignes des boutiques qu’on voit qu’on a changé de territoire

C’était en fin de printemps et le temps était magnifique avec le bleu profond de la Méditerranée à notre droite et les teintes plus sombres de la montagne à notre gauche.
Peu de tems après que nous soyons entré en Italie, tu t’es penchée vers moi et doucement u m’as embrassé dans le cou et en souriant tu m’as dit que c’était ton premier baiser italien et qu’il fallait profiter de l’occasion…

Nous nous sommes directement dirigé vers Florence puis j’avais prévu une étape à Saint Marin et nous aurions terminé à Rimini. J’aimais et j’aime encore cette région pleine de collines douces et baignée en général d’un air dont la légèreté m’a toujours ému

A Florence, nous avons parcouru les rues qui sont des musées à ciel ouvert et où on ne se lasse pas de lever la tête vers tant de richesses et de beautés architecturales accumulées.
Nous avons trouvé un petit hôtel un peu en dehors de la ville et lorsque nous nous étendus sur le lit, elle s’est blottie au creux de mon épaule, a poussé un soupir de soulagement et s’est endormie presque immédiatement. J’ai regardé et doucement caressé sa longue chevelure brune et dans son sommeil, elle s’est pelotonnée plus étroitement contre moi.

C’est en descendant de Saint Marin qu’elle m’a regardé et m’a demandé de poursuivre vers le sud. Vers la Basilicate qu’elle voulait connaître.
Un peu interloqué je l’ai regardée, son sourire était éclatant et ses yeux plus clairs que toutes les lumières du printemps.
Mais pourquoi spécialement cette région ? Elle a haussé les épaules et m’a demandé simplement de lui faire plaisir et je n’ai pas insisté après tout Rimini n’était pas forcément ma tasse de thé

J’ai donc mis le cap vers la Basilicate et vers Potenza qui est la capitale de cette province située beaucoup plus au sud dans ces régions plus âpres et sévères que les plaines et douces collines du nord mais le soleil arrangeait bien les choses, nous étions jeunes et nous avions la vie devant nous…

Il nous a fallu un jour et demi pour arriver, j’ai conduit sans trop me presser et nous avons dormi dans un petit hôtel situé pas très loin de Potenza et un peu à l’écart de la grand route, je m’en souviens encore, la façade était couverte de glycines d’un jaune exubérant. Le patron avait une moustache de bandit calabrais et la chambre avait une odeur de propre et un air délicieusement rétro. Le soir nous avons fait l’amour, lentement, gravement jusqu’à ce qu’elle renverse la tête en arrière, yeux fermés avec cette plainte de gorge que je ne me lassais pas d’écouter

Le matin, nous avons pris le petit déjeuner à l’arrière de l’hôtel sur une minuscule terrasse et nous avons repris notre chemin

C’est là que j’ai pris cette photo et, pour faire bien, j’ai cadré une espèce de pic rocheux entre deux branches d’un pin qui se trouvait là en bordure de notre route.
-Allons visiter, c’est tout près et ça n’a pas l’air d’être mal
J’ai opiné, en effet pourquoi pas ? Là ou ailleurs, quelle importance ?

J’ai garé la voiture à l’entrée de la petite ville et je lui ai demandé si elle ne préférait faire un tour à pied d’autant que l’étroitesse des rues ne laissait présager de bon pour d’éventuelles manœuvres ou simplement pour stationner
On est donc descendu du véhicule et on a fait comme tous les touristes du monde à leur arrivée dans un lieu non encore visité, le pas tranquille et l’œil aux aguets pour saisir toute paysage ou évènement digne d’intérêt.
On s’est avancé vers le haut du village en se tenant par la main, tranquillement comme deux amoureux que nous étions alors
Arrivés tout en haut au pied de l’éminence rocheuse, on s’est arrêté pour souffler un peu car la pente était raide et le soleil déjà haut…
C’est là qu’elle est apparue venant de nulle part.
Vous vous souvenez ? Le voile noir du malheur…

Jeune, tsigane selon toute vraisemblance et vêtue de haillons, elle s’est avancée vers nous et mon premier réflexe a été de l’écarter de notre chemin mais elle m’a stoppé dans mon geste et s’est avancée vers l’apparition.

La petite tsigane a saisi la main de ma compagne et elle commencé à parler à vois demi basse et en italien, langue que je connais pas. Un peu vexé je me suis écarté et je me suis décidé à explorer les environs proches sans toutefois trop m’écarter
Leur conciliabule a duré un certain temps et elles fini par s’écarter l’une de l’autre et j’ai choisi de me rapprocher.
C’est la deuxième photo qui est tombée du dossier, une photo de pas trop bonne qualité à nouveau mais on voit très bien cette silhouette habillée de noir sur un arrière-plan éclatant de blancheur.

En me retournant, j’ai eu la surprise et le choc de voir qu’elle des larmes dans ses yeux au point que, maladroitement, j’ai tenté de la réconforter mais elle m’a repoussé puis, elle a secoué la tête et m’a dit qu’elle était idiote et que je ne fasse pas attention…

Nous avons rejoint la voiture garée plus bas et elle m’a dit qu’elle se sentait maintenant un peu fatiguée par tous ces kilomètres avalés et qu’elle pensait qu’il était aussi bien que nous revenions en quelque sorte sur nos pas.

J’ai donc mis le cap au nord en précisant qu’il serait bien que nous fassions un détour par Rome au point au nous en étions. Elle a haussé les épaules avec indifférence…

Je ne le savais pas encore mais cette indifférence affichée allait donner le ton à la suite du voyage. Pour une raison inconnue de moi, le charme semblait rompu. Un voile de tristesse s’était installé sur ses yeux, nous avions beau tenter chacun à notre tour d’alléger l’atmosphère, rien n’y faisait et la tension avait fini par devenir palpable toujours sans que j’en connaisse les causes

Nous avons franchi la frontière au même endroit qu'à l'aller et comme convenu, je l’ai déposée à la gare de Toulon car j’avais un contrat en cours dans la région et je devait m’y tenir présent pour quelques semaines

Je l’ai accompagnée jusqu’au quai et elle s’est penchée par la vitre de son wagon pour me faire un baiser avec sa main et le train s’est doucement ébranlé puis les voies sont devenues vides avec leur acier luisant faiblement sous le soleil..

Je lui téléphonés dès son retour à Paris mais j’ai bien senti que le trouble constaté entre nous ne faiblissait pas.
C’est quelques jours plus tard que j’ai reçu quelques mots de sa main me signifiant la fin de notre aventure. Peiné mais à peine surpris, j’ai bien tenté d’obtenir un semblant d’explication de sa part mais ce fût peine perdue

J’ai fini par me faire à l’idée de la séparation, dire que cela me fût facile serait mentir. J’ai passé une période très dure en fait et il m’a fallu prendre sur moi pour surmonter cette épreuve.
Mais petit à petit, le temps a fait son œuvre de thérapeute, d’autres rencontres se sont faites et la douleur est devenue moins forte jusqu’à devenir presque imperceptible mais quand même accompagnée de cette question toujours sans réponse: Pourquoi ? Qu’avait-il bien pu se passer pour un aussi brutal changement de sa part ?

Et puis un jour, bien longtemps après et par le plus grand des hasards, j’ai croisé un monsieur à l’angle de la gare d’Austerlitz.
C’est lui qui m’a reconnu le premier: 20 ans que nous nous étions vu pour la dernière fois, un copain de fac des dernières années et un assidu de cette petite bande dont elle faisait partie.
Nous nous sommes dirigés vers le buffet de la gare pour y évoquer autour d’un quelconque verre quelques uns de nos lointains souvenirs.
Comme d’habitude dans ces occasions, on a fait un tour d’horizon de ceux encore présents et des autres déjà disparus avec son lot de confirmations ou de découvertes, bonnes ou mauvaises jusqu’au moment où son nom fût prononcé et que presque machinalement je lui ai demandé s’il avait encore de ses nouvelles

Il m’a regardé avec surprise. Comment me dit-il, tu ne sais pas qu’elle est décédée et voila déjà longtemps, une leucémie fulgurante me précisa t-il… Et quand il m’a donné l’année, je me suis aperçu que c’était à peine 18 mois après notre soudaine et imprévue séparation italienne. J’ai senti une boule se nouer dans ma poitrine avec un frisson de peur alors qu’au travers de sa voix, le passé revenait en force…

Nous nous quittés en promettant de nous revoir bientôt et de s’appeler dès que possible. Je ne suis pas sûr que nous le fassions ni l’un ni l’autre mais après tout, qui sait ?

A mon retour à l’appartement, je me suis assis dans mon fauteuil préféré, un verre d’alcool à la main et je me suis souvenu de cette lointaine ballade jusqu’au sud de l’Italie avec ces questions jusqu’alors informulées et que la terrible nouvelle de sa mort faisait revenir à la surface...

Sa demande inattendue à se rendre en un lieu non prévu dans notre emploi du temps et cette rencontre soudaine d’une bohémienne au coin d’une rue.
Et je revois encore ses yeux embrumés de larmes et son refus de répondre à mes interrogations lorsque je suis revenu vers elle.

Et aujourd’hui, soudain, si loin dans le temps, une rupture qui aurait pu sembler si banale me fait me poser de bien dérangeantes questions.

Qu’a t-elle vraiment appris sur son sort ce jour là dans ce village italien baigné de soleil? Lui a-t-on appris sa mort prochaine et a-t-elle alors décidé de faire face seule à cette échéance?
Et d’où sortait t-elle cette apparition tout de noir vêtue qui ce jour là est venue à notre rencontre? Et alors, pouvait il s’agir d’une rencontre inscrite de tout temps dans les astres noirs des destins informulés mais dont elle avait ressenti au plus profond de son être l’absolue et inéluctable nécessité qui nous avait mené au coeur de cette austère province de la Basilicate?

Je n’ai pas de réponses à toutes ces questions posées mais que savons nous réellement des pressentiments et de ceux qui prétendre pouvoir lire dans l’avenir et de ces coïncidences qui sont la marque des destins en marche?

Et je contemple ces deux photos, le coeur serré en revenant à ce lointain voyage et à une longue fille brune dont la chevelure m’inondait le visage comme à marée montante le flot s’en vient, lentement, recouvrir le sable asséché de la grève…

Claude


2 commentaires:

Anonyme a dit…

J'aime beaucoup les récits de souvenirs, et tu racontes si bien les tiens...

claude a dit…

En fait, la dernière rupture en date c'était à Malte mais pas sur un yacht, je le jure, et elle m'avait lâchement plaqué pour un ingénieur météo...

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