3.5.07

La mort de Belle

-C’est à vous ça ?
C’était le voisin de la villa d’à coté dans cette petite ville de Provence où j’habitais alors et qui remontait l’allée menant au garage accolé à la saison
J’avais jeté un coup d’œil sur «ça».
Non, « «ça» n’était pas à nous
Alors, je le remets à la rue me dit-il, il est entré dans mon jardin et je vous le ramène car je croyais qu’il était à vous
Disant cela, il était de parfaite mauvaise foi car ayant la possibilité de voir au travers la haie qui séparait nos deux propriétés, il savait pertinemment qui faisait partie de la maison ou non.
Il voulait simplement se donner bonne conscience et se débarrasser à bon compte de l’intrus
Je finis par examiner «ça» avec un peu plus d’attention et j’ai alors découvert deux yeux effrayés qui suivaient chacun de mes mouvements et un boule de poils, couleur noir et feu nichée au creux d’un bras du monsieur d’à côté.
-Bon, eh, ben ! Écoutez, laissez le moi, je vais lui donner à manger et essayer de trouver d’où il peut venir
Ce disant, je ne le savais pas encore mais j’étais piégé. «Ça» venait de rentrer dans nos vies pour plusieurs années en fait
Soulagé, notre voisin posât alors son petit fardeau dans notre allée et tourna les talons
-Bon, allez ! Viens dis-je à «ça» qui docilement me suivit dans la maison

Après quelques travaux de ravalement sur la pauvre créature qui en avait bien besoin et après une légère collation pour la remettre de ses émotions, on invita la nouvelle venue… Oui, je dis nouvelle car le "il" était une "elle" en fait une demoiselle (un bref examen anatomique nous ayant rapidement confirmé la chose), on invita donc Belle car c'est ainsi que le consensus s'établit sur ce nom, à découvrir son nouveau domaine.
Pour tout dire, Belle ainsi baptisée était une chienne avec des ascendances papillon, c'est à dire quelques kilos de poils mélangeant le marron foncé avec des reflets de feu et une affection ou un amour sans borne

Après un petit moment, notre Belle fût conviée à réintégrer le domicile, (j’allais dire conjugal non quand même pas mais elle occupa une place non négligeable au sein de la famille)…. Mais rien, invisible, notre Belle était devenue invisible. Après m’être plus ou moins égosillé dans le jardin, j’ai alors pris la voiture pour faire un tour de quartier mais rien à l'horizon! La belle avait disparu…
Ce n’est qu’à la nuit tombante et après que j'eus abandonné mes recherches que notre facétieuse se décida à sortir de la cachette qu’elle s’était trouvée dans notre haie de romarin. Probablement avait elle décidé de tester nos limites et de voir jusqu’où elle pouvait aller
Soulagé de la revoir, j’ai alors haussé un peu le ton pour lui dire de ne pas recommencer des facéties de ce genre. Toute penaude, elle a baissé la tête de contrition et tout fût dit; jamais plus elle ne recommença

Elle a vécu pendant plus de six ans avec nous. 6 ans pendant lesquels elle nous suivi dans nos tribulations diverses et variées sans jamais proférer ne serait-ce que l’ébauche d’un soupir de réprobation dans nos quelquefois aventureuses sorties
J’étais devenu pour elle son dieu. Je crois que sa raison de vivre résidait dans l’attente de mon arrivée et son plus grand bonheur était de pouvoir s’allonger à mes côtés sur le canapé lorsque je lisais un livre ou mon journal. Et là, sa tête en contact avec ma cuisse, elle était une statue de la béatitude personnifiée

Un matin, toujours en Provence où entre temps nous étions revenus, j’ai pris la voiture pour faire quelques achats à la ville voisine. Evidemment Belle m’a suivi et s’est faufilée par la porte ouverte du véhicule pour se coucher comme elle le faisait d’habitude derrière le siége conducteur mais cette fois sans que je m’en aperçoive
C’était en début d’été et la température extérieure était déjà élevée sans parler de celle régnant dans un véhicule à l’arrêt le temps de mes achats
Ce n’est qu’après mon retour que soudain quelqu’un s’est enquis de l’absence de Belle. L’idée m’est venue brusquement: La voiture. J’ai couru à la voiture garée devant l’entrée du jardin. Elle était là, couchée à sa place habituelle. Morte.
Je pense qu’elle est décédée d’un coup de chaud comme on dit.
Tant d’années après, elle me manque souvent la petite Belle.
Elle me manque car c’est une partie de ma vie qui s’est évanouie avec elle, cette petite chienne pour qui j’étais un dieu. Un dieu qui l’a trahie par négligence ou étourderie comme tous ces « dieux » dont c’est la marque de fabrique en quelque sorte, ces « dieux » vers qui nous nous retournons mais dont la vigilance est bien souvent prise en défaut, occupés qu’ils sont à bien d’autres besognes et qui en oublient l’essentiel, cet essentiel si longtemps caché dans les yeux d’une petite chienne perdue…

Claude


4 commentaires:

Wictoriane a dit…

Je suis toute émue de cette histoire mi-dramatique, mi-humaine, oui la vie nous fait des tours de vache, à notre coeur défendant, seul notre mental nous aide à surmonter nos erreurs, nos égarements...
Bises

claude a dit…

tu es la voix de la sagesse, Wictoria.
Ton commentaire me fait plaisir car tu as compris toute la charge émotionnelle de ce petit récit

Gros bisous à toi

Claude

Anonyme a dit…

Larmes aux yeux et émotion...
Le commentaire de Wictoria est parfait et je n'ai rien à y ajouter.
Des bisous

claude a dit…

Elle était mignonne la Belle, hein?

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