29.11.06

La ligne mystérieuse




Tu t'en souviens? On arrivait à la plage par un petit chemin qui zigzaguait entre des touffes d’oyats. Il fallait monter la dune et, arrivé au sommet, on pouvait voir l’étendue plus moins grande laissée par la marée avec parfois des bois flottés qui nous enchantaient. On en a ramené quelques uns comme objets de décoration.

Moi, je me souviens, quand tu es arrivée la première de notre petite ascension, tu t’es retournée dans ma direction et le vent en a profité pour rabattre l’une de tes mèches devant tes yeux. D’un geste machinal, tu l’as remise en place et tu m’as souri.

Tu prends superbement la lumière comme disent les gens du cinéma et pendant un court instant, j’ai eu cette vision comme un hymne au bonheur et à la vie d'une jeune femme nimbée de lumière d’été et le temps s'est immobilisé comme pour laisser s'inscrire à jamais dans mes souvenirs ta blondeur se mariant à celle du sable de la plage en contrebas et à quelques filaments étirés de cirrus suspendus entre la ligne d’horizon et la fuite éperdue de la mouvante frontière océane

Nous nous sommes assis à quelques mètres des vagues qui se brisaient sur le rivage. Je t’ai demandé si tu voulais m'accompagner pour quelques brasses, tu m’as répondu que non et tu t’es immédiatement plongée dans la lecture du livre que tu avais emporté avec toi

Je me suis donc dirigé vers l’eau et tu m’as demandé de faire attention. J’ai du hausser les épaules et je suis entré dans l’élément liquide
Comme d’habitude, j’ai pensé que l’océan n’était pas très chaud et je me suis aspergé pour habituer mon corps aux différences de températures entre air et eau et je me suis décidé à plonger.

Je ne suis pas un très grand nageur mais enfin je me débrouille. A un moment j'ai regardé dans ta direction, tu étais tournée vers moi mais tu étais complètement absorbée dans ta lecture
Je me suis laissé porter par les vagues, je me sentais bien au sein de cette mouvance aquatique, mi-nageant, mi-faisant la planche en regardant le ciel. Soudain, j’ai réalisé que je m’étais éloigné plus que je ne l’avais prévu. Des quelques mètres où tu étais quand je m’étais retourné, la distance devait atteindre maintenant 40 mètres et je n’avais plus pied. Il était temps de revenir et c’est là que j’ai ressenti cette puissance qui insidieusement, inexorablement me poussait vers le large.
J’ai commencé à me battre pour revenir mais au mieux je faisais du sur-place. L'idée des "baïnes " et de leur traîtrises m'est venue à l'esprit
A un moment, j’ai vu que tu me regardais mais tu n'as pas compris que je me trouvais maintenant en difficulté et rassurée de me voir faire des mouvements de nage, tu es repartie dans ta lecture

Je commençais maintenant à avoir peur et le pire, à avaler de l’eau. J’ai regardé à gauche et à droite mais j’ai compris que mes efforts ne me rapprochaient pas de la terre ferme

Et c’est là que, pendant une infinitésimale fraction de seconde, l’envie d’arrêter m’est venue. J’ai littéralement « marché » sur cette très mince ligne qui sépare la désir de vivre de celui de mourir.

Pendant un très court instant, j’ai pensé arrêter mes mouvements qui maintenant devenaient pesants et frénétiques tout à la fois, j'ai presque accepté de me laisser aller, regard levé vers le ciel, à cet univers liquide qui me battait aux oreilles et le temps a, semble t-il suspendu son cours pour me laisser seul face à mon choix et les forces de la nuit ont failli vaincre pendant que, comme un équilibriste, je "marchais" sur ce fil ténu qui est celui de notre chemin de vie.

Et puis la vision d'une fille baignée de lumière en m'attendant au haut d'une dune s'est imposée à moi et j'ai hurlé non, un non viscéral, venant du plus profond de mes entrailles et j'ai, en serrant les dents, allongé mes mouvements en direction de cette plage où était mon salut et là, j’ai senti l'océan desserrer son étreinte, la distance qui me séparait de toi s’est enfin amenuisée.

Je te suis revenu, j'ai repris pied vers la vie, je suis enfin revenu au port, j'avais frôlé le gouffre j'avais marché sur ce fil mystérieux duquel tomber d'un côté ou de l'autre peut vouloir dire vie ou mort, j'avais été funambule sur ce fil d'Ariane qui tisse nos destinées et j'avais décidé de faire le choix de retrouver la douceur de ta peau et la fermeté de tes seins

Je suis sorti de l’eau et, épuisé, je me suis allongé à tes côtés. Quand ma cuisse a touché la tienne, tu m’as dit
-Comme tu as froid

Mais tu ne t’es pas poussée et j’ai senti ta chaleur se transmettre à toutes mes fibres. J'avais gagné la lutte mais je ne t'en ai rien dit et je crois bien que c'est une larme qui s'est mêlée à cette eau salée qui s'attardait encore dans mes cheveux et venait mouiller mes joues mais ça non plus tu ne l'a pas vu.

Claude

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