19.10.06

De vie et de mort en Inde et ailleurs

Un des grands privilèges qu’offre le fait d’avoir résidé à l’étranger est la possibilité, si toutefois on veut bien se défaire du faisceau des préjugés dans lesquels nous sommes si souvent enfermés, de se confronter à d’autres croyances, à d’autres pratiques, à d’autres approches face à ce phénomène que constitue la mort.
Dans nos pays occidentaux, nous sommes les héritiers d’acquis judéo-chrétiens conditionnant notre attitude face à nos fins dernières.
Le fait de croire ou de ne pas croire n’est pas le sujet mais observez notre attitude commune face à cette chose qu’est devenu un corps privé de vie. Après le décès, nous rendons ce corps à la terre.
Rappelez vous « Tu es poussière et tu redeviendra poussière ». Des générations de gens d’église ont répété cette phrase et ce retour à la terre est une démarche qui nous semble naturelle même pour les incroyants même si, marginalement, la crémation gagne peu à peu du terrain.
Mais une autre idée nous taraude, en y incluant les mécréants que certains d’entre nous (et moi le premier) sont: Ce corps qui est actuellement le notre, ce corps que nous habitons, nous devons le quitter au moment de la mort, (les croyants disent que ce moment est celui où on rend son âme à Dieu) mais ce n’est qu’une séparation provisoire puisque ce corps est celui avec lequel nous ressusciterons à la fin des temps.
Et peu importe que nous adhérions à ce concept, il est de toutes les manières inscrit en nous par les générations de ceux qui nous ont précédés: Ce corps sans vie doit donc faire l’objet de toutes les attentions qui vont au-delà du simple respect dû aux morts, il faut le préserver autant que faire se peut afin qu’il puisse « resservir » à la fin des temps

Mais cette approche de la mort peut être bien différente dans d’autres civilisations ou religions. Dans l’Hindouisme par exemple.
J’ai eu la chance de vivre pendant plusieurs années en Inde et au Népal. Dans ces pays, j’ai assisté à des crémations.




Full day behind the tamarisks—the sky is blue and staring—
As the cattle crawl afield beneath the yoke,
And they bear one o’er the field-path, one who is past all hope or caring,
To the ghat below the curling wreaths of smoke…

Kipling- Christmas in India


Ne croyez pas qu’il s’agisse de voyeurisme. Non, pas du tout ! Mais ces scènes sont celles de la vie de tous les jours et même si nous le voulions, il est difficile de ne pas, un jour ou l’autre, avoir à assister à une crémation.
« Spectacle » si difficile à admettre ou comprendre pour les occidentaux que nous sommes mais qui, avec le temps, finit par paraître aussi naturel que la descente du tombeau dans les profondeurs de la terre pour que le lent travail de retour à la glaise originelle finisse par faire son oeuvre.
Là, dans ces pays d’autres croyances, pas de décomposition ou de putréfaction mais une disparition rapide dans les flammes qualifiées de purificatrices.
Cette enveloppe que nous appelons corps est devenue inutile lorsque la vie l’a quittée et se doit de disparaître sans tarder.
Cette idée est acceptée car il n’y a pas de résurrection à la fin des temps pour l’Hindou mais un cycle de réincarnations successives qui ne s’interrompront que lorsque le Karma de chacun aura été réalisé et que l’âme individuelle pourra rejoindre la grande âme universelle et enfin arrêtera ces voyages qui empruntent ces vallées de larmes qui souvent sont celles de nos destinées personnelles




Mais dans le foisonnement des religions qui est la marque de ce pays, un groupe de quelques cent milles personnes existe. Une goutte d’eau vraiment dans la multitude humaine qui vit et meurt dans le sous-continent
Ce sont les Parsis, descendants des zoroastriens : Des adorateurs du soleil dont la religion date de trois ou quatre milles ans et qui furent chassés de Perse, l’Iran actuel, lors de la main mise de ce pays par l’Islam
J’ai croisé certains de ces Parsis. Ce sont des gens ouverts, amicaux accueillants. Pratiquement chacun parle trois ou quatre langues, ils sont tolérants et totalement ouverts vers l’extérieur. En dépit de leur petit nombre, ils ont beaucoup d’influence en Inde car beaucoup de familles de grands industriels pratiquent cette religion
Or ce petit groupe a une particularité remarquable dans leur approche de la mort. Le corps sans vie ne doit en aucun cas polluer les quatre éléments qui constituent le monde.
Donc, pas question de crémation pour ne pas polluer le feu
Pas d’ensevelissement pour ne pas polluer la terre
Pas question d’abandonner un corps à l’eau pour les mêmes raisons
Et enfin refus de laisser le corps disparaître au contact de l’air
Voici les raisons pour lesquelles ces défenseurs de la nature au pied de la lettre, ont finit par adopter une solution qui peut choquer nos sensibilités occidentales : Les tours du silence.
Vous avez probablement entendu parler de ces constructions dont il reste quelques exemplaires à Bombay ou Mumbay comme on dit maintenant
Au moins deux d’entre elles se dressent encore dans l’un des jardins publics de cette ville mais si vous vous rendez dans cette ville, n’espérez pas vous en approcher. Les accès en sont interdits et c’est probablement mieux ainsi car pour faire disparaître leurs morts, les Parsis ont adopté une solution aussi originale qu’expéditive. Les corps sans vie sont laissés, nus, au sommet de ces tours du silence et abandonnés à l’appétit des vautours qui joueront leur rôle de fossoyeurs en évitant la pollution aux éléments cités plus haut
Or, depuis une décennie, on assiste à une diminution drastique du nombre de ces oiseaux dont la vue était si familière quand je résidais là-bas et qui partageaient avec les vaches et les si nombreux et bruyants corbeau indiens les rues des villes pour y jouer le rôle d’éboueurs
Et voilà nos Parsis face à un véritable problème. Que faire au cas où cette espèce viendrait à disparaître totalement des cieux de ce pays et que faire pour que leurs croyances soient respectées. Aux dernières nouvelles, on en est à la création de centres de reproduction et à des efforts de repeuplement là où leur présence est nécessaire
Je crois que nous devrions écouter ce message et partager l’angoisse et le désarroi des Parsis. Fasse que reviennent en nombre les vautours afin que soient, encore et toujours, préservés ces quatre éléments qui sont la base même de la vie et que nos indifférences et inconséquences abîment chaque jour un peu plus

Claude

2 commentaires:

Anonyme a dit…

Voilà une note passionnante. Agnostique et mécréante moi aussi, ça fait longtemps que je m'interroge sur le sujet, et pour l'instant ai opté en ce qui concerne ma modeste enveloppe pour la crémation. J'avoue que la "technique" parsi ne me sied pas plus que ça... En même temps, que de questions, quand on est mort on est mort... Mais justement, au cas où, hein ?
Merci pour cette page d'instruction et un peu d'histoire ;)

claude a dit…

Modeste je ne sais pas mais bien séduisante telle qu'elle est cette enveloppe, chère Véroniqur ;-))
Et puis, on n'est pas forcément pressé de les quitter si vite que ça ces fameuses enveloppes, hein?
Bisous
Claude

PS; enfin Mr Blogger me laisse poster mes si pertinentes rematques, c'est pas trop tôt

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