2.10.06

Tassili n'ajjer




C’est en revenant vers le campement que c’est arrivé.
Ils avaient travaillé tous les trois chacun dans leur coin comme d’habitude : Mesures, photos, remesures, calques…La routine, quoi !
Les gravures se trouvent dans des endroits bien mal commodes; à se demander comment les artistes de ces époques se débrouillaient pour ne pas perdre leurs effets de perspective et ils admiraient l’ingéniosité et le véritable sens artistique démontré pour tirer parti de la moindre anfractuosité de la roche.
Comme à Lascaux et comme dans toutes les grottes ornées disséminées sur notre vaste planète
Ils se parlaient peu, absorbés par leur tâche et le silence qui les entourait n’en était que plus profond. Ils réservaient leurs commentaires au campement du soir, sous cette voûte étoilée qui déroulait ce spectacle dont les citadins qu’ils étaient n’arrivaient pas à se rassasier



Ils s’étaient spécialisés dans la représentation des figures humaines : Des pasteurs, des guerriers, des chasseurs. Depuis quelques jours, c’étaient des scènes érotiques qui faisaient l’objet de toutes leurs attentions.
De sexes hypertrophiés, des femmes offertes à des hommes masqués. Quelle signification donner à ces représentations ? Des hymnes à la fécondité et à la vie dans son éternel recommencement dans les rites et les fêtes qui précèdent son apparition ?
Ils ne se lassaient pas d’admirer ces formes surtout quand la lumière rasante du soir arrivant venait y ajouter un élément supplémentaire d’étrangeté et nul propos graveleux ne venait émailler leurs rares propos

Ils étaient dans le Tassili n’ajjer, une région magnifique d’une sauvage beauté mais malheureusement l’insécurité a gagné ce coin et surtout ses voies d’accès et il est à craindre que toutes ces beautés si vivantes dans leur écrin de pierre doivent se priver pendant longtemps de visiteurs
Mais peut être n’est ce pas plus mal ainsi d’une certaine manière…

ils avaient été missionnés par Paris pour faire ces relevés pour ensuite offrir aux visiteurs et touristes dans notre capitale la possibilité d’admirer ces œuvres des lointains habitants du néolithique saharien



C’est Georges qui le premier avait dit :
Allez, basta, pour aujourd’hui ! Le thé doit nous attendre, on y va !

Il s’était redressé quittant la position incommode que le tracé sur la roche lui imposait en essuyant machinalement la sueur qui coulait sur son front
Sur sa gauche, un fragment de roche était détaché de la paroi. Il avait toujours accroché à la ceinture l’outil qui lui permettait d’enlever délicatement un fragment de pierre pour des raisons de prises photographiques en général.
Mu par une impulsion qu’il ne comprend pas toujours aujourd’hui, il donna un coup léger et c’est un fragment à peine grand comme la main qui tomba à ses pieds
Poussé par le même inexplicable besoin, il retourna le débris tomba au sol
Et c’est là qu’il la vit et l’exclamation qu’il poussa inquiéta quelque peu ses deux autres compagnons
-Il t’est arrivé quelque chose ?
Leur première pensée avait été un scorpion fréquent dans ces lieux désolés
-Venez voir, vite !!
Ils précipitèrent et le virent penché sur ce qu’il contemplait, tête baissée au sol
Et c’est là qu’eux aussi la virent pour la première fois.
Avec mille précautions ils l’on rapportée au campement ne se lassant de la regarder sous tous les angles et d’échafauder les hypothèses les plus folles.
Heureusement leur expédition touchait à sa fin. Evidemment, leur premier soin, de retour dans la capitale a été de faire examiner leur extraordinaire découverte
On leur confirma que les pigments employés dataient d’une période bien antérieure au néolithique mais c’est tout ce qu’on pouvait en dire
On le demanda de faire le silence sur cette découverte et l’énigmatique figure sur un morceau de roche s’est retrouvée dans l’enfer des trouvailles inexpliquées et bien dérangeantes
Mais eux ne l’ont pas oubliée et ils continuent souvent à l’abris des portes closes à l’évoquer entre eux
Mais jamais ils n’ont pu répondre à cette question : Que faisait-elle là, face tournée vers la parois, cette femme aux allures si modernes, que faisait t-elle là dans sa pose alanguie cette ravissante apparition?
Et surtout, pourquoi et comment a-t-elle pu suggérer à l’un de nos contemporains, dans une fin de journée de travail, de lui revoir la lumière et le regard des vivants?

La voilà cette femme qui nous vient de la nuit des temps, je vous la présente cette Antinéa de civilations disparues sans laisser de traces sinon la sienne.
Antinéa, cette reine que les Targui du Hoggar appellent Tin-Hinan, hiératique et mystérieuse et dont l’insondable regard qui a contemplé des cieux bien différents des nôtres mesure dans un endroit à nouveau caché l’infinie fuite des jours

Claude

4 commentaires:

Anonyme a dit…

As-tu lu toi aussi L'Atlantide de Pierre Benoit?

claude a dit…

Ben, oui, je l'ai lu il y a bien longtemps e ça m'avait passionné comme les livres de Frison Roche avec ses pistes oubliées...

Anonyme a dit…

Le Tassili, le plus bel endroit du Sahara... J'en ai gardé un souvenir tellement présent, merci de me permettre d'y retourner avec tes mots ;)

claude a dit…

Je pensais bien que ça te rappellerais des souvenirs ;-))

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