22.7.06

Les voyages immobiles (3)


TARA


"Le temple funéraire d’Aménophis III à Thèbes est gardé par deux statues colossales représentant le pharaon assis. Endommagées par un tremblement de terre en 27 av-JC, elles se rendirent célèbres par un phénomène étrange: Tous les matins, un des colosses chantait! L’historien voyageur Strabon, qui assista au phénomène, fut sceptique et cru à une machination pour épater les touristes. Ce chant matinal perdura toutefois tous les matins jusqu’à la restauration de la statue au IIIe siècle sous ordre de Septime Sévère. Le phénomène était sans doute du à une réaction de la pierre à la condensation de l’eau de la rosée matinale."

(Ceci se passe à Thèbes et non à Abou Simbel me direz vous mais qui sait si les statues chantantes ne furent pas aussi à l’œuvre dans ces lieux où, muets maintenant, elles nous jaugent de leurs regards impénétrables)


L’Egypte, c’est fascinant n’est-ce pas? Incroyable civilisation en effet qui s’allonge sur plusieurs millénaires et qui apparaît vêtue de pied en cap si j’ose dire, avec son langage, son écritures, les hiéroglyphes, sans que l’on sache exactement d’où lui vient cet héritage et comment il lui a été transmis.
Civilisation dont on ne comprend pas toujours forcément les motivations et en particulier cet irrépressible fascination de la mort et des voyages dans l’au-delà traduite dans ces monuments qui défient les millénaires et dont il n’est pas du tout certain qu’ils ne soient que des tombeaux ou des chambres funéraires et dans la construction desquels un message secret attend peut être encore son découvreur.
Civilisation enfin qui étend peut être encore aujourd’hui son emprise sur nous même sans que nous en soyons bien conscients…





Ils ont débarqué à Abou Simbel après un long vol à partir du Caire. 40° de température au bas mot mais des degrés supportables en raison de l’absence quasi-totale d’humidité.
Impressionnants ces colosses et ces temples que l’ONU a démontés pièce par pièce pour les remonter plus haut sur une butte artificielle afin de les préserver de la montée des eaux du lac Nasser. Mais les visages ont conservé leur énigmatique sérénité avec aux lèvres leurs mystérieux demi-sourires et on essaie toujours d’imaginer l’époque de leur construction dans ce désert au milieu de nulle part et à mille lieues de toute présence humaine placés là pour un dialogue éternel entre l’immensité sableuse du désert omniprésent et les flots impassibles du grand fleuve venant baigner les pieds de ces dieux des temps anciens…

Tara, elle s’appelle Tara, elle aura 16 ans au moment de l’année où les rayons du soleil commencent le matin leur lente ascension vers la poitrine de notre maître et roi sculpté dans la pierre rouge de la falaise.
Elle est venue avec son père d’au-delà les monts de la lune, plus loin encore que les terres où régnèrent en leurs temps les pharaons noirs vers ces endroits où me dit elle le grand fleuve n’est qu’un ruisselet, qu’un enfant de fleuve
Elle s’appelle Tara et je suis Ischter, fils de scribe de haute lignée et nous nous marierons quand se lèveront les semailles dans les champs fertilisés par la boue nourricière des eaux bienveillantes du grand fleuve
Elle a la peau douce comme lait d’amande et ses yeux noirs s’étirent vers ses tempes, des yeux qu’elle souligne d’un trait noir étendu avec une fine brosse faites de poils d’une gazelle du désert.
Son père est un artiste de la pierre et c’est lui qui a donné les instructions pour que s’élèvent au dessus de la poussière et du sable du désert les traits de notre roi et des dieux qui le protégent
Tara m’a entraîné ce matin là en me prenant la main vers cette statue du dieu qu’il est interdit d’approcher de trop près mais elle a décidé de braver l’interdit et nous descendons vers la base de la falaise vers cet endroit précis, cet endroit où on entend le dieu parler
Elle a levé les yeux vers moi et elle mis un doigt devant sa bouche pour m’imposer le silence et ne pas réveiller un prêtre ou un garde tous endormis en ces instants bénis du matin avant que l’infernale chaleur ne reprenne bientôt ses droits
Et nous sommes arrivés au pied du colosse et elle m’a regardé avec amour et confiance avant que de se pencher vers une petite anfractuosité du rocher. Je l’ai vue se pencher sa mince tunique de lin flottant doucement autour de son corps dans le vent léger du petit matin.





Quand elle s’est retournée vers moi, je n’ai pas reconnu son regard, ses yeux noirs étaient devenus immenses et ils me fixaient plein d’épouvante et d’effroi. Un court instant, j’ai pensé qu’elle avait aperçu une vipère des sables glissant tout près sur le sable mais c’est bien moi qu’elle fixait ainsi.
J’ai voulu faire un pas en avant et j’ai ouvert la bouche pour dire un mot. Mais en levant les mains d’un geste impérieux, elle m’a fait signe de m’arrêter et c’est alors que, sortant de ses lèvres, j’ai entendu ces paroles extraordinaires:

-Va t’en, tu en fait partie, tu es un homme de ces temps à venir, tu es de ceux qui vont détruire ce que nous avons fait, nos dieux, nos temples, tu es de ces barbares et je te hais !

Sa voix était montée dans les tons hystériques et ses yeux s’étaient remplis de larmes.
Soudain, faisant demi-tour, elle commença à courir en direction de la falaise qu’elle entreprit d’escalader
Le bruit avait réveillé des gardes qui se mirent à courir en ma direction me faisant perdre du temps pour me mettre à sa poursuite. C’est donc avec retard que je commençais, abasourdi par la tournure des événements, à gravir la pente qui commençait abruptement de chaque côté où s'élevaient les majesteuses statues
Elle avait le pied sûr et montait avec rapidité en s’accrochant à la moindre pierre ou en s’aidant de la moindre anfractuosité dans le rocher, parfois quelques chutes de pierrailles soulignait son avance au dessus de moi
Luttant contre l’essoufflement, je lançais son nom de temps à autre
-Tara, que se passe t-il, Tara, attends moi, Tara, je t’aime, attends !!!
Mais aucune réponse ne me parvint, il me sembla percevoir quelques paroles, comme une supplication, comme une antienne, comme la prière que l’on adresse aux dieux quand s’en revient le soleil de son habituel voyage nocturne mais soudain c’est un grand hurlement que j’ai perçus, un cri inhumain accompagnant une tunique de lin blanc que je vis passer, flottant autour d’un corps gracile, en un éclair devant moi
Elle s’est écrasée plus de 10 mètres plus bas et quand je suis arrivé à elle, fendant le petit groupe de jeunes prêtres et de soldats, du sang s’étendait en large tache sur sa tunique blanche, ses traits étaient paisibles et elle avait cessé de vivre…

Le groupe de quelques touristes occidentaux s’est dirigé vers les temples. Ils portent des casquettes bigarrées et des shorts qui leur battent les genoux. Sur conseil de leur guide, ils sont munis de bouteilles d’eau et ils s’arrêtent de temps à autres pour humidifier une gorge qui devient râpeuse et rêche sous l'effet de la montée des températures.
Il a mal dormi la nuit dernière et a pesté une fois encore contre la clim’ qu’il a trouvé bruyante et réglée trop bas. Ils se sont réveillés très tôt avant de commencer la visite. Derrière eux s’étend le lac Nasser et on ne peut distinguer la rive opposée déjà perdue dans les premières brumes de chaleur
L’un des touristes, un homme d’âge mûr, s’est inquiété de savoir s’il pourrait avoir du vin au repas du midi car ça commençait à lui manquer, sa femme, une blonde à la poitrine imposante, a commencé à parler de leur amis qui leur ont présenté l’hiver dernier toutes les photos prises durant leur visite aux temples et ils ont bien l’intention de leur rendre la pareille avec les mêmes photos d’ailleurs. Une petite jeune femme brune a continué à s’enfoncer dans le même mine maussade qu’elle arbore depuis leur départ de France

Il a grommelé quelque chose et sa compagne s’est rapprochée de lui
-Que dis tu? Ca ne va pas?
-C’est mon rêve de la nuit dernière, un drôle de rêve où je suis Egyptien des anciennes époques et où je m’appelle Ischter et qui se termine mal avec un cri monstrueux et qui n’en finit pas
-Bon, ce n’est qu’un cauchemar, probablement le bruit de la clim’ que ton cerveau a interprété à sa façon. Allez prépare toi au spectacle, tout va aller mieux, tu vas voir !

Il a hoché la tête en lui retournant son sourire, Mais en lui, le malaise a persisté, une boule au niveau de l’estomac qui grandit au fur et à mesure de leur approche au temple
Ils sont maintenant devant les 4 colosses qui montent la garde devant la porte du temple. Leur jeune guide continue ses explications mais ses mots ne sont pour lui qu’un lointain bourdonnement et son malaise s’est amplifié.
Soudain, profitant de l’entrée du groupe à l’intérieur du temple, il a faussé compagnie à son amie en rebroussant chemin en direction du colosse assis à gauche et là tout en bas, proche du pied du dieu il a foncé droit vers une anfractuosité du socle et sans hésiter il a collé son oreille contre la pierre de granit rouge.
Pendant ce temps, dans le temple, les touristes ne se sont pas lassés d'écarquiller les yeux pour distinguer les divinités et les inscriptions alignées le long des murs en écoutant d’une oreille plus ou moins distraite les explications de leur guide.
Soudain, la jeune femme s’apercevant de l’absence de son compagnon a fait demi-tour en glissant à sa voisine:
-Je reviens
Quand elle a surgi sur l’esplanade, celle-ci lui est apparue déserte sous l'implacable soleil et c’est en clignant des yeux qu’elle a du balayer le paysage à la recherche de son ami
C’est un mouvement soudain qui l’a amenée à regarder vers le haut et soudain elle l'a vu, accroché à la paroi, progressant vers le haut et pendant une fraction de seconde elle est restée interdite puis la parole lui est revenue:

-Mais tu es fou, qu’est ce qui te prend, descends immédiatement, tu vas te casser le cou, descends, je te dis!

Il s’est arrêté un instant pour la regarder, accroché à mi-pente:

-Elle avait raison, Tara avait raison comme dans mon rêve et elle hurle et elle pleure encore dans la roche depuis tout ce temps.

-Mais de quoi parles tu ? Au nom du ciel, redescends! Qui est cette Tara?
-Nous sommes coupables, nous sommes des barbares elle le savait, elle me l'avait dit et nous ne savons que détruire et couper ces liens qui auraient du nous relier encore aujourd'hui à ceux là qui nous ont précédé jusqu'à ces dieux qu'on ne connaît plus.
-Descends, je te dis, ça devient n’importe quoi !

Elle avait maintenant des sanglots dans la voix et, attirés par le bruit, le guide et son petit groupe étaient sortis du temple pour se rapprocher de l’endroit où elle se tenait.
Pendant ce temps, il avait continué son ascension sans plus se retourner et tout le monde avait les yeux fixés sur sa marche en avant

Arrivé au niveau de la tête du souverain, le colosse de droite, il se retourna, jeta un regard vers les eaux perfides du lac Nasser et lentement il bascula vers l’avant. La petite foule cria de stupéfaction puis d’horreur et le corps s’écrasa quelques 10 mètres en contrebas.

En courant sa compagne se précipita vers le point d’impact, du sang s’étendait en large tache sur la chemise blanche de son compagnon, ses traits étaient paisibles et il avait cessé de vivre…



« Le grandiose éperon rocheux, point de repère pour la navigation, dominait une vaste courbe du Nil, relate l'égyptologue Christian Jacq dans Le Temple des millions d'années. Sur les rochers, des inscriptions hiéroglyphiques rappelaient que l'endroit était placé sous la protection de la déesse Hathor, souveraine des étoiles et des navigateurs qui faisaient volontiers halte en ce lieu. À lui, Ramsès, de faire d'Abou Simbel une merveille qui défierait le temps et scellerait la paix entre l'Égypte et la Nubie. Ici serait construit le sanctuaire magique de la province ; il rassemblerait les énergies divines et diffuserait un faisceau de protection si intense que le fracas des armes disparaîtrait. »

Le pacte des temps passés entre les dieux et les hommes a été rompu, le lac Nasser a englouti les endroits choisis de toute éternité pour être la demeure des dieux sur cette terre, toute l’économie humaine et géographique a été modifiée jusqu’au delta, jusqu’à la lointaine Méditerranée et nul n’oserait penser au véritable cataclysme que serait pour toute la vallée du Nil l’effondrement du barrage pour cause naturelle,suite à un attentat ou alors du fait de la colère des dieux…

Claude

2 commentaires:

Anonyme a dit…

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