6.9.07

L'embrouille




L'embrouille


On avait du s'embrouiller au sujet d'une vague connerie. S'embrouiller! Tiens, voilà que je parle d'jeunn maintenant.
Pour me donner l'illusion que je suis encore dans le coup, probable!
S'embrouiller.
À l'époque , on aurait dit s'engueuler. Les choses changent, hein? Mine de rien, les choses changent et les mots qui les désignent aussi.
Putain, en fait, plus ça change, plus c'est pareil!

Bon, on s'était engueulé, une fois de plus.
Au sujet de quoi? Va donc savoir.
Sur le fait qu'il faisait aujourd'hui moins chaud qu'hier ou l'inverse, j'en sais rien
Ce dont je me souviens, c'est que c'était l'été et que je m'étais assis sous le tilleul de la cour.
De temps à autre, un petit coup de vent passait pour venir juste ébouriffer les feuilles de l'arbre au dessus de moi.
Toi, tu étais rentrée pour te faire une beauté ou bien ranger nos assiettes du repas du midi.
Tu aimais bien que la maison soit en ordre et tu ne tolérais pas le désordre alors que j'étais plutôt du genre bordélique et j'ai toujours pas changé.
C'était peut être ça la cause de l'embrouille.

J'ai du piquer un peu du nez devant ma feuille et ma machine à écrire.
Pour les plus jeunes, une machine à écrire, c'était un clavier mais sans disque dur associé, un machin où il fallait tout faire à la main y compris renvoyer le charriot à la fin de l'envoi.
La préhistoire quoi!

Elle est sortie et elle s'est penchée sur moi pour me faire un bisou dans la nuque.
J'ai du sursauter un peu car ça l'a fait rigoler et elle a promené sa main mine de rien sur ma poitrine par l'ouverture de ma chemise ouverte.
Quand elle vu que sa caresse allait faire son l'effet, elle m'a dit:
-Du calme, garçon, gardes en pour ce soir, il faut que j'aille faire des courses de toutes les façons.
-Je te pose même pas la question, tu viens pas, hein?
J'ai haussé les épaules et elle a fait tinter les clés de la voiture à mon oreille

Je l'ai vue s'éloigner dans l'allée et les gravillons ont crissé sous pas.
Elle avait sa jupe bleue, celle que j'aimais tant et des chaussures à talons plats.
Paresseusement, j'ai levé la main dans sa direction. Je me souviens bien, une guêpe en maraude est passée devant moi et s'est posée sur la table de travail. Je l'ai chassée avec le journal posé à proximité.

Et puis, j'ai levé mon verre en sa direction et bu une gorgée du blanc que je m'étais versé précédemment et qui avait eu le temps de perdre de sa fraicheur malgré l'ombre environnante.
Putain, c'est pas bon le blanc réchauffé!
Elle a agité sa main par la vitre ouverte et la voiture s'est doucement éloignée en direction de la route...
La connaissant comme je l'a connaissais, je savais qu'elle ne reviendrait pas avant la fin de l'après midi et à nouveau j'ai senti mon cerveau s'engourdir et mes pensées commencer à s'évader.

C'est le téléphone posé sur le guéridon de l'entrée qui m'a définitivement réveillé
J'ai eu un peu de mal de m'extirper de mon siège. La sonnerie continuait, persistante, aigüe, à te vriller les oreilles...

-Merde, j'arrive, attends une seconde ais-je dit de loin à mon interlocuteur inconnu

-Allo?
C'est une voix masculine au ton très officiel qui a prononcé mon nom
-Oui, lui même, c'est pourquoi?

Mais qu'est ce qu'il me raconte ce con?

Si je suis bien le propriétaire de cette voiture au numéro tel et tel?
-Ben oui, et alors?

Bordel! C'était l'été! Même que c'était une de ces journées qui font croire qu'on est là pour l'éternité avec des tas d'insectes qui bourdonnent tout autour et qu'ils sont le symbole même de la vie qui va...

C'est là que tous ces mots synonymes d'horreur se sont suivis comme si celui qui les prononçait avait hâte de s'en débarrasser pour les confier à quelqu'un d'autre, comme s'il étaient trop lourds pour lui à porter et que c'était le tour à quelqu'un d'autre de les assumer

Accident, hôpital, blessures graves, tout à fait désolé, il faudrait venir... Et chacun d'entre eux pénétrait de plus en plus profond dans ma conscience comme une épée chauffée à blanc et c'était comme si le crépuscule était brusquement tombé dans ce coin de Provence où nous vivions et ça en plein milieu de l'après midi

Peu de chose émerge du brouillard dans lequel j'ai été plongé dans les jours qui ont suivi.
L'hôpital et le lit où elle repose, le visage étrangement calme et serein, très peu marqué en fait, juste une marque discrète sur le coté droit et les draps tirés jusqu'au menton...
Des coups de téléphone, des visites des copains qui arrivent sans crier gare et la famille en pleur et moi au milieu de tout ça, bras ballants, absent en quelque sorte. Absent et en attente de ses pas, ces pas qui faisaient si bien crisser le gravillon de l'allée...

Plus tard, ce sera l'arrivée d'hommes en noir et l'église avec un curé qui a du mal à faire marcher sa sono pleine de cantiques et qui a aussi l'air de penser à autre chose...
Et le bruit des pas sur le gravier de l'allée du cimetière, un gravier plus blanc et grossier que celui de notre allée...

Elle m'a fait un signe de la main en partant et j'ai levé mon verre en sa direction et le blanc dans mon verre qui avait chauffé n'était pas bon à boire.
On s'était embrouillé comme on dit aujourd'hui pour une broutille, une assiette mal lavée peut être, va donc savoir!
A l'époque on aurait dit qu'on s'était engueulé mais faut bien tenter de rester dans le coup non?

Et avant de se diriger vers la voiture, elle m'avait fait un bisou dans la nuque et que même j'en avais commencé à bander... Et qu'elle avait vite compris mais elle avait des courses à faire et je ne n'avais pas insisté...

Vous avez remarqué comme moi? On n'a pas vu beaucoup de guêpes cette année en Bretagne là où maintenant je vis.
Vivre c'est comme ça qu'on dit à défaut d'autre mot quand on se contente de voir les jours défiler les uns après les autres...
On n'a pas vu beaucoup de guêpes et pas d'abeilles non plus d'ailleurs.
Et il paraît que ça c'est grave, pour des raisons de pollinisation je crois.

Pas de guêpes de nos jours et pas beaucoup plus d'abeilles d'ailleurs
Et moi là dedans qui ne me sens pas très bien non plus...

Claude

2 commentaires:

Unknown a dit…

mon ami au canada m'a appris un mot nouveau, il y a quelques jours. c'est un photographe professionel au talent fou, et devant une de mes photos, il a dit "breath taking".

un instant, plusieurs instants face à ce texte, j'ai été "breath taking".

en français j'aurai dit que parfois quand je te lis, mon sang se fige un moment.

mais breath taking, c'est encore pire, et bien plus proche.

Je t'envoie des bisous, et puis j'ai une bonne nouvelle. les abeilles, comme les guêpes cette année sont revenues en provence.

Lou

claude a dit…

eh ben, elles finiront bien par remonter au nord mais les guêpes je t'en fait cadeau...
Il parait que dans le sud vous avez maintenant le moustique qui donne le chikunguya.
Ben dis donc vous vivez dangereusement là-bas

Des bisous, Loulou

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