7.8.07

Bretonnes bacchanales





Je les vois du coin de l’œil quand je contemple l’ancien cimetière maintenant vide de ses morts, décoré de buissons d’hortensias et de pierres arrondies ramenées de la rivière voisine…
Je les vois.
C’est comme une brume légère parcourue de brefs éclairs électriques
Tous ces diaphanes filaments planent à côté de l’église, ils tournent autour d'elle et soudain réapparaissent à mes yeux et je suis le seul à les voir dans ces matins qui ne méritent pas encore ce nom, de ces moments avant que le soleil ne monte au dessus des horizons ou bien le soir quand l’ombre s’en est doucement venue pour s’étendre sur la terre
De ma fenêtre alors, je fixe l’ancien cimetière maintenant vide d’habitants, c'est du moins ce que les autres croient

Et je la vois danser l’âme de cette Marie dont je n’ai jamais su le vrai nom et que je regardais pisser impassible, tout debout, le jour où les bolées de cidre avaient été nombreuses, pisser à l'endroit où elle se trouvait sans prendre la peine de retrousser ses jupons tout en parlant à la grand mère et je voyais une grande flaque se former sur le sol, en dessous de ses jambes écartées et ça devant mes yeux d’enfant ébahi lançant à la grand mère des regards questionneurs auxquels elle répondait par des sourcils levés au ciel

Et je les aperçois mes filaments électriques s’entrecroiser, descendre et s’élever pour moi qui en suis le seul spectateur et tant pis si vous ne me croyez pas, gens de peu de foi, je sais moi qu’ils existent bel et bien et qu’ils continuent ainsi les bacchanales de leurs enveloppes de chair déjà bien commencées de leur vivant…

Et Jean, le forgeron du village dont j’occupe aujourd’hui la forge réaménagée et qui mourut suspendu à la corde avec laquelle il avait mis en branle un angélus de dix heures du soir apocalyptique, angélus qui se termina brusquement quand il rendit à Dieu son âme noire dans un dernier râle dans l’église déserte, pendu à ces cordes noueuses qu'il connaissait si bien et dont il s'était entouré le cou au moment de l'une de leurs remontées et c’est le curé venu aux nouvelles de cette intempestive sonnerie qui le découvrit, jambes en l'air et langue sortie, avec aux lèvres un rictus peut être du à la vision des enfers pour lesquels sans nul doute il était destiné.
Le même curé qui ne se rendit pas à l'enterrement de son modeste collaborateur, croque-mort et artisan patenté des fêtes carillonnées, mis en terre dans cette portion de terre non consacrée, sous l’if triste et vieux, portion réservée à ceux qui décidaient de quitter cette terre de leur plein gré et partaient ainsi chargé d’un impardonnable péché mortel

Et mes filaments dansent et se frôlent, légers et gracieux. Ils caressent même me semble t-il les pierres de l’église dont certaines parties proviennent d’un autre lieu de culte dont on ne se souvient plus de l’endroit d’édification et peut même pas du dieu pour lequel ses murs avaient été élevés


Et Pierre aux yeux aux couleurs des mers du sud, qui avait beaucoup voyagé et qui, un jour, ne plus pu supporter les cieux gris crochés en terre et la terre grasse à laquelle s’accrochaient ses sabots de bois.
Jean qui un soir où le tumulte né dans sa tête sonnait ses cent mille carillons, s’étendit sous les toiles d’araignées centenaires du grenier où personne jamais n’allait et cala son vieux fusil de chasse sous le menton et l’un de ses yeux, le gauche je crois, chassé par la déflagration quitta son orbite et vint se poser sur une pièce de bois face à la montée, un œil d’un bleu étincelant aux couleurs de mers lointaines semblant mis là pour accueillir ceux qui montèrent à l’échelle de meunier après le bruit de l’explosion et qui leur laissa une si forte impression que si longtemps après les anciens du village en parlent encore avec des frémissement dans la voix

Et elles dansent mes ombres et je les vois ces brefs éclairs lumineux et je crois bien qu’ils se tiennent par la main et ils tournent, montent et descendent et je bats la mesure avec la main et les hommes soulèvent haut les femmes et je vois leurs dessous tout blancs et j’entends leurs rires malgré la fenêtre fermée et vous ne me croyez pas bien sûr, vous autres esprits forts et incroyants de tout acabit mais je sais qu’ils sont là et que jamais ils ne quitteront cet endroit qui est le leur pour l’éternité et peut être même plus

Et Jeanne, la belle et tendre Jeanne que je vis en fin d’après midi de moisson du haut du noyer dans lequel le garnement qu'alors j’étais s'était juché, silencieux et attentif sur l'une des plus hautes branches et bien caché par ses frondaisons.
Et c'est là que je la vis, ma tendre et belle Jeanne, aux grands yeux innocents, les jambes blanches bien écartées et les jupes retroussées jusqu’au menton se faire besogner par l’un de cousins miens, étendus qu’ils étaient sur la charrette remplie de beau foin odorant et tirée par un cheval noir qui les ramenait, indifférent à sa charge d’amour et d’herbes coupées, vers la cour de la ferme et qui peut être mesurait sa marche à l’aune de l'intensité des soupirs amoureux échangés afin qu’ils aient le temps de finir leur petite affaire et de se réajuster bien proprement avant que l’équipage au complet ne s’arrêtât enfin devant la grange pour y laisser son chargement

Et la « gendarme » comme on l’appelait peut être parce qu’elle avait été mariée à un vrai gendarme depuis longtemps mort.
Elle dont j’ai toujours ignoré la véritable identité et qui s’accoudait à sa fenêtre les jours de sortie de l’église de la congrégation pour une traditionnelle procession et qui engueulait l’univers, Dieu qui l’a créé à ce qu’on dit et surtout le recteu’ du village, comme on disait alors, son bien modeste représentant en ce bas monde et elle lui sortait toutes sortes d’insanités et d’injures bien senties avec des détails graveleux sur sa prétendue échevelée vie sexuelle et le pauvre homme resserrait les pans de sa soutane d’un geste frileux autour de ses jambes grassouillettes et pressait le pas du troupeau des fidèles, bannières au vent précédés des enfants de chœur dont je fus un temps partie, en route pour faire dévotion à je ne sais plus quel saint (mais il en avait tant à cette bien lointaine époque) et il accélérait le pas pour que l’ensemble de ses ouailles ne s'écorchât plus les oreilles pour discerner ces mots qui nous faisaient, nous autres gamins, ricaner et nous nous les répétions entre nous avec délectation les jours suivants en route pour l’école, pour faire aussi rougir les filles qui n'en pouffaient pas moins sous cape car elles étaient bien plus que nous au courant des choses de la vie mais nous ne le savions pas encore...

Et elles montent légères et gracieuses mes ombres du passé et je les regarde seul quand me tient debout l'absence de sommeil et je suis seul dans le village endormi à les voir surgir de mon passé et je sais que vous ne me croyez pas, vous autres, gens des villes et des campagnes, gens de peu de foi et aptes à rire de ce que vous ne comprenez pas, que vous ne comprendrez jamais mais je m’en fous, je les vois et je m’en tape que mes histoires ne vous intéressent pas, ils sont là et bien là ces restes de souvenirs qui peuplèrent mon enfance et je les retrouve, légers et gracieux tournant leurs bacchanales autour de l’église, de cette église dont l’ombre portée s’en vient le soir obscurcir ma chambre quand le soleil décline à l’occident….

Claude

4 commentaires:

Anonyme a dit…

Un cimetière vide de ses morts ? ça existe ??
En tout cas superbe texte, comme d'habitude...
Tes ombres du passé et tes histoires m'intéressent, moi, et j'espère que tu ne te lasseras pas de m'en parler...
Plein de bisousss

claude a dit…

Les cimetières sont vides en Bretagne depuis qu'il est interdit d'y mourir mais on ne le dit pas trop pour éviter l'affluence...;-))

Anonyme a dit…

Bah, comme on peut se faire enterrer n'importe où, même là où l'on n'a pas vécu... Mais vous avez raison, pas la peine d'avoir une armée de zombies encombrant vos rues !

Anonyme a dit…

Je ne suis pas arrivée à ouvrir les liens que tu m'as envoyés. Le site ne veut pas de moi.

Je t'embrasse

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