25.8.07

Conte de la mer cruelle




Je n’ai pas le pinceau très habile mais j’ai récemment tenté de reconstituer de mémoire cette petite maison située un peu à l’écart du village où actuellement je vis ou je survis, c’est selon…
Je m’y rendais plus souvent que ne l’aurait souhaité la grand’mère qui ne voyait pas toujours d’un œil très favorable mes fréquentes visites à cette maison dont il ne reste plus rien sauf peut être cette peinture malhabile et quelques souvenirs enfouis dans la mémoire des anciens du coin.
Il faut dire qu’elle ne vivait pas seule cette femme entre deux âges, voire trois d’ailleurs, pour ce que j’en savais. Il faut dire qu’à regard de mes 10 ans, tout ce qui se mouvait au dessus des 35/40 ans faisait partie de cette masse indistincte que j’appelais les adultes voire les vieux. Cruelle enfance !!
C’est vrai qu’elle était apparue un jour comme ça dans notre village endormi, une petite de l’assistante, on dirait de la DASS aujourd’hui, tel avait été le verdict des autochtones du coin et la messe fut dite sans qu’il soit nécessaire d’aller y voir plus loin
Assistance, DASS ou bien encore d’ailleurs, quelle importance ! Elle avait les yeux de la même couleur que celle des iris qui poussaient près de la maison de la vieille. Des yeux d’iris et des jambes bronzées surmontées de genoux souvent couronnés avec des mollets zébrés de longues balafres car le demoiselle en m’entraînant dans ses expéditions m’avait maintes fois prouvé que rien ne lui faisait peur et elle le payait d’écorchures ou de plaies dont elle ne semblait guère se soucier d’ailleurs…

Elle comptait probablement pour cicatriser blessures et contusions sur les tiroirs magiques de celle qu’elle appelait mémé, même si aucun lien de sang ne les reliait toutes les deux sauf celui du coeur qui est bien plus important comme chacun le sait ou plutôt devrait le savoir…






C’est que Mémé connaissait les simples, celles qui poussent le long des chemins creux et qu’elle allait recueillir à des heures bien définies selon les espèces, très tôt le matin quand la rosée souligne la tige délicate d’une plante bonne pour les maux de ventre ou bien le bourgeon de celle là au soleil de midi et qui ajoutée à une autre serait un excellent vermifuge bien utile pour nous débarrasser de ces vers qui nous faisaient nous gratter parfois furieusement le fondement

Certains disaient même l’avoir vue les nuits de pleine lune se pencher pour des récoltes mystérieuses, une certaine sorte de champignons dont les chapeaux et les tiges prestement disparaissaient dans sa large ceinture de cuir garnie de plusieurs petites poches où elle enfouissait ses trésors et ses trouvailles.
Mais ça, je ne l’ai jamais vu déjà qu’il n’était pas toujours facile pour moi de m’éclipser de jour pour retrouver le chemin de la petite maison

Elle a disparu cette maison comme ont disparu la plupart des chemins creux que j’ai tant arpentés en compagnie d’un elfe gracieux et agile au regard d’iris et aux éclats de rire si clairs qu’ils en faisaient frissonner les feuilles des vénérables chênes des bords de talus en compagnie aussi de sa mémé dont les yeux semblaient lire jusqu’au fond de l’âme au moins pour ceux qui en possède une mais c’est de plus en plus rare malheureusement de nos jours

Ces plantes que j’ai voici longtemps appris à cueillir et à respecter sont devenues de nos jours de plus en plus rares. C’est pourquoi je vous en joins en gravures quelques exemplaires et si vous les apercevez, alors sachez que dans leurs formes et leurs couleurs traîne encore un restant de la sagesse des temps abolis, ceux où l’homme savait s’abandonner à la séculaire protection de la nature plutôt que de la piétiner ou de la détruire et elles cachent dans le replis de leurs pétales des secrets aptes aussi bien à tuer qu’à guérir.
Pauvres fous prétentieux qui ne voient pas la punition méritée s’avancer à grands pas, qui ne voient pas la catastrophe finale monter des infinis qui bordent les horizons, qui ne voient que les jours sont comptés pour qu’enfin la nature, seule et triomphante, puisse se ressourcer dans la sérénité et la patience des aubes primes…

Ce fût un de ces soirs de fin d’été qu’elle me prit la main et qu’elle m’imposât le silence en posant un doigt sur la bouche, ce fût un de ces crépuscules qui suit des après midi passés à parcourir le sentes et chemins où poussent, fiers et libres, ajoncs et genets, tout juste balancés par une brise légère gonflée de parfums de sel ramassés au dessus de la mer
Quand nous entrâmes dans la maison au sol de terre battue, une semi obscurité y régnait déjà et on pouvait voir la vieille en ombre chinoise assise devant le foyer où doucement brûlait une branche de chêne et sur laquelle elle jetait de temps à autre une poignée du contenu d’une de ses nombreuses poches, contenu qui crépitait et s’éparpillait en fugitives étincelles.

-Asseyez vous tous les deux sur le banc derrière moi, nous dit-elle alors que nous nous tenions parfaitement silencieux dans l’entrée Elle avait perçu notre présence je ne sais exactement comment mais nous fîmes comme elle nous le demandait et c’est côte à côte qu’on s’installa sur le banc un peu en retrait par rapport à elle

Il régnait en ces lieux une odeur à la fois douce et âcre et c’est en tendant l’oreille que je finis par percevoir des sons étranges, comme une sorte de lente psalmodie qui sortait de ses lèvres et il semble bien qu’elle utilisait une langue étrangère sortie peut être de la nuit des temps faite de sifflements avec de temps à autres des gémissements ou des sortes de plaintes.
Je ne sais combien de temps nous restâmes assis avec la petite main froide de mon elfe agrippée à la mienne sa joue posée sur mon épaule.
Nous restâmes ainsi parfaitement silencieux tous les deux. Une minute, une heure, plus ? Je ne saurais le dire, j’avais perdu la notion du temps qui passe, et seuls m’importaient les sons que j’entendais venir de la bouche de la vieille et les ombres qui se projetaient sur les murs blanchis à la chaux comme il était d’usage de le faire dans ces régions en ces époques là

Et soudain, les ombres se sont en quelque sorte « organisées », c'est-à-dire que nos propres projections se sont lentement transformées en paysage, celui d’une rade radieuse sous le soleil, une rade remplie de voiles de toutes les couleurs et de baigneurs fendant l’eau et d’enfants courant et criant et je l’ai vue et je l’ai entendue, la vague, monstrueuse venant d’au-delà les horizons. Une vague d’un blanc sale avec un bruit comme celui de cent mille tonnerres. Et personne ne semblait la voir s’approcher, de plus en plus haute, de plus en plus menaçante

Et la précédant, j’ai vu les cavaliers noirs galoper à son rythme, des cavaliers revêtus de cuir sombre avec leurs montures aux gueules écumantes et brandissant des bannières de noir et de rouge flottant et j’ai vu la grande marée s’étaler sur la grève, engloutissant tout son passage et je l’ai vue dépasser le niveau des mortes-eaux et venir à l’intérieur des terres pour envahir les rues des villes insolentes, monter à l’assaut de leurs fiers gratte-ciel, engloutir hommes et femmes dans des maelströms infernaux avec des bruits de fin du monde…
Et l’eau qui montait et montait à la suite des destriers de l'enfer et de leurs cavaliers galopant sans répit par plaines et monts, glapissant et hurlant injures et obscénités...

Et c’est là que je l’ai vu mon elfe avec ses yeux d’iris à transpercer les âmes, c’est là que je l’ai vu, frêle et forte tout à la fois, lever le bras et arrêter soudain dans leur course les cavaliers aux noires figures

Bras dressés, mains levées, face au soleil qui montait au dessus de la poussière d’eau empanachant la vague monstrueuse, le regard impérieux, elle imposa sa puissance aux forces aveugles de destruction.
Et les cavaliers aux visages de fureur et de mort, vaincus pour cette fois encore, s'en retournèrent pour s’enfoncer dans les flancs de la vague géante qui commença alors à se réduire puis à reculer pour laisser derrière elle dans les plaies béantes ouvertes par sa folie destructrice la possibilité de régénération des nouvelles terres à venir…

Je n’ai jamais revu la magicienne, habitante de cette petite maison située un peu à l’écart du village et que j'ai tenté de faire maladroitement revivre au travers des prismes de la mémoire d'une main malhabile.
Je n'ai jamais revu la petite fille, cette douce compagne de mes jeux de l’enfance, mon elfe aux yeux d’améthyste dont nul ne sait d’où elle venait mais quelle importance cela a-t-il aujourd'hui?

Et il ne me reste plus maintenant qu’à patiemment attendre l’arrivée de la vague, celle qui viendra d’au-delà nos horizons car je le sais qu'elle viendra pour s'affaler sur les terres insouciantes à un sort inscrit dans la marche de l'étoile en même temps que dans les pétale d'une sauvage et odorante fleur des champs.

Et parfois, il m’arrive de ressentir des tremblements qui s'en viennent ébranler les fondations de ma vielle maison et un bruit à peine perceptible s’en vient griffer mes nuits sans sommeil et je sais qu’elle est là, qu’elle se tient prête pendant que, immobiles, les cavaliers de l’enfer attendent d’enfourcher leurs cavales aux yeux fous et que leurs oriflammes rayés de rouge et de noir doucement claquent à la brise marine….

Claude

4 commentaires:

Anonyme a dit…

beau coup de pinceau, beau coup de mots...mais la mer ne vient jamais comme on l'attend, n'est-ce-pas?
bonne journée

claude a dit…

Nous en venons de cette grande étendue liquide et j'ai l'impression qu'elle s'apprête à venir rechercher son bien...
Bonne journée à vous

Claude

Anonyme a dit…

Elle a même déjà commencé...

claude a dit…

Je rentre à Paris la semaine, on n'est jamais assez prudent de nos jours...

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