9.3.08

La bibliothéque



Quand un homme meurt, c'est toute une bibliothèque qui disparait.
Je souscris entièrement à cette phrase dont l'auteur m'est inconnu mais qu'importe!
La science vient de donner à ces mots une résonance particulière: Récemment, une équipe de scientifiques était à la recherche d'une thérapie pour tenter de traiter des cas d'obésité morbide. Pour ce faire, ils ont songé à utiliser une technique de stimulation cérébrale en se servant d'électrodes comme cela se fait déjà dans le traitement de la maladie de Parkinson
Or, ils ont eu la surprise de déclencher chez un de leurs patients en excitant une zone bien particulière du cerveau un retour sur des souvenirs vieux de plus de 30 ans.
L'intéressé s'est ainsi retrouvé dans une scène de piquenique avec ses amis de l'époque autour de lui et tout y était: Les bruits des conversations, les odeurs de l'herbe de l'été, les odeurs de nourriture, le rire des filles, tout sans exception.... Comme si l'action avait lieu à ce moment précis

Et ceci corrobore l'intuition que j'ai depuis toujours: Que nos souvenirs ne disparaissent jamais, qu'ils entrent dans des tiroirs dont nous perdons les clés mais qui sont toujours là, prêts à resservir quand certaines occasions s'y prêtent

C'est ainsi que j'ai, à divers moments, expérimenté ce phénomène: Dans cette zone grise que nous connaissons tous, entre éveil et endormissement, il m'est arrivé de me retrouver des années en arrière: odeurs, sons et aussi la transparence de l'air d'un matin naissant et le poids de la neige qui chuinte sous un pas qui hésite et la résistance de la croute du pain que j'allais chercher chez le boulanger du village et que je n'hésitais à rompre en remontant vers la maison mais je savais que la grand mère ne dirait rien et la douce élasticité des lèvres du premier baiser volé...

Mais malheureusement il suffit d'un battement de paupières, d'un mouvement involontaire et la magie des souvenirs enfouis s'écroule nous laissant frustrés devant ces rêves qui se fracassent soudain comme château de cartes devant la muraille dure des réalités contemporaines...

Quand un homme meurt, c'est toute une bibliothèque qui disparait.

Alors imaginons que nos techniques modernes permettent un jour de capter toutes ces sensations, l'odeur de la fleur qui s'ouvre, les cris des enfants qui escaladent le ciel,les chants des oiseaux qui saluent l'arrivée du soleil et la vague qui vient paresseusement brasser le sable blond de nos enfances disparues

Alors, rêvons: Et si un jour une technique encore à découvrir nous permettait de laisser à disposition de ceux qui un jour prendront nos places sur cette terre toutes ces subtiles et évanescentes traces qui pavent notre passage ici-bas et semés là par de bien malicieux dieu des petits riens et si ces bibliothèques dont nos sommes les dépositaires pouvaient être notre plus précieux héritage que nous pourrions léguer pour faire briller les yeux et battre les cœurs de lecteurs futurs égayés et émerveillés devant ces mille et uns spectacles bien rangés au fond de tiroirs dont eux posséderons enfin les clés et comme si, au travers de leurs lectures, nous pouvions goûter à cette éternité que tant d'autres nous promettent pour de bien improbables ailleurs dans des paradis de pacotille, éternité qui risque d'être bien longue, surtout vers la fin...

Claude


6 commentaires:

Wictoriane a dit…

« Quand un homme meurt, c’est une bibliothèque qui disparaît », disait Léopold Sédar Senghor.
J'aime retrouver les clefs de ma matière grise, j'aime aussi enfouir dans mes tiroirs secrets mes instants présents et précieux !

claude a dit…

Merci pour Senghor, Véro.
Franchement j'aurais du me rappeler. C'est là qu'on voit les dégats dus à toutes ces clés des tiroirs secrets perdues en route ;-))

Anonyme a dit…

la mémoire est un vase palimpseste...
je t'embrasse Claude
Lou

claude a dit…

elle est rigolote ta remarque, Loulou, sur la mémoire. Comme si on écrivait nos propres sensations sur une mémoire déja utilisée et mal effacée... Une idée à creuser pour quelqu'un qui aurait le talent pour le faire
Il m'arrive de penser à toi de temps à autre et de me demander ce que tu deviens...

je t'embrasse aussi

Claude

Anonyme a dit…

je fais des photos...c'est moins dangereux que les mots. et parfois il arrive qu'on puisse dire la même chose, et que l'on soit entendu...

je pense à toi aussi.
Lou

claude a dit…

dis voir, Loulou, elles sont où ces belles photos? Et que chacun puisse en profiter....

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