16.3.21

Colette


Quelques kilomètres avant d'arriver à Châteauroux

 

Elle s’appelait Colette.

J’ai retrouvé sa trace par hasard sur internet.

Sa mort.

En 2018 

Elle avait 83 ans.

Pendant un temps nous avons partagé le même bus qui nous amenait de Blois à Châteauroux où nous travaillions tous deux dans cette base américaine importante et qui attirait une main d’œuvre venue parfois de bien loin.

C’était en 1955, 1956

Elle avait alors 20 ans et moi, je n’en avais pas 17

On avait fini par nous asseoir côte à côte et nous échangions quelques paroles pour meubler le voyage long de trois heures.

Je regrette de ne pas l’avoir questionnée sur sa vie, ses études etc ma timidité maladive probablement m’en avait empêché, mais malgré çà j’ai fini par m’enhardir à lui proposer de venir au cinéma avec moi et j’avais été agréablement surpris qu’elle me réponde simplement oui. Pourquoi donc n’ais-je pas osé aller plus loin, renouvelé mon invitation ? La timidité toujours

Elle a dû mettre sa mère au courant de ma présence, car lors d’un départ de Blois une femme l’accompagnait (supposée être sa mère) avant qu’elle ne monte dans le bus et qui, mine de rien, me dévisageait.

Je ne saurai jamais qu’elles furent les résultats de cet examen furtif

Force m’est d’avouer que j’attendais avec de plus en plus d’impatience ces voyages où nous voyagions de concert.

Et puis vint ce voyage-là

Nous avions atteint les trois quarts de la distance avant le terminus quand, à un arrêt, elle s’est levée, a pris ses affaires et s’est dirigée vers la sortie

Sur le trottoir l’attendait quelqu’un et je les ai vus se diriger vers une rutilante voiture américaine comme on savait les faire en ces temps-là

Je me souviens aussi du chauffeur de bus me disant avec un petit sourire qu’il ne faisait jamais faire confiance aux femmes

J’ai encore en moi ce sentiment de tristesse et d’abandon, mais elle ne me devait rien bien sûr et qu’avais-je à lui offrir surtout face à une aussi belle voiture, mais il lui aurait suffi de me prévenir que nous ne finirions pas ensemble ce voyage ce jour là pour atténuer en quelque sorte ma peine

Et puis le temps a passé. Avec mes maigres économies, j’ai acheté ne moto, j’ai pris le bus de moins en moins et bien sûr les occasions de la croiser se sont taries

Quels souvenirs ai-je gardés d’elle ?

La longue silhouette d’une fille brune dans l’éclat de ses 20 ans, son sourire lorsqu’elle venait s’asseoir auprès de moi dans le bus

Elle chantonnant "que sera sera, future’s not ours to see" qui était le grand tube de ces années-là en réponse à l’une de mes questions

Quelques moments de grâce tirés du fin fond de ma lointaine jeunesse, quelques évanescentes bribes de mémoires qui s’en viennent peupler mes moments de solitude

 Qu’a-t-elle fait pendant cette longue période de plus de 60 ans ? Mariée, je suppose, des enfants probablement. Qui pense encore à elle en ce moment ?

En fait, je suis tombé sur elle ne dernière fois à la gare de Blois où elle achetait un billet pour Paris. Nous nous sommes gentiment salués

-Comment allez-vous ?

- Très bien et vous ?

C’est à peu près tout, je crois puis elle s’est dirigée vers le quai des départs et je l’ai perdue de vue Pour moi une nouvelle vie commençait. Pour, elle aussi, peut-être. C’était fin août 1958.

Après cette brève rencontre, je n’ai plus entendu parler d’elle jusqu’à cet avis de décès


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