1.1.08

L'amoureuse aux cheveux verts

Elle était belle ma rivière.

Sa découverte venait du temps de la grand mère maternelle qui m’avait pris chez elle pendant 3 ans jusqu’au retour à l’envoyeur, auprès de ma mère mais aussi près de ce beau père que j’ai tellement méprisé, de ce mépris inextinguible qu’un enfant éprouve envers un adulte qui l’a déçu

Je l’ai aimée ma rivière nichée au fond de cette vallée qui m’impressionnait si fort en raison de sa conformité particulière: Abrupte et dépourvue d’habitations sauf quelques moulins établis le long de ses rives et dont aujourd’hui encore on voit quelques traces

J’ai aimé la rivière et lorsque je revenais au village pour quelques semaines de vacances d’été, ma première visite était pour elle
Je descendais la longue pente qui menait directement vers le fond de l’étroite vallée et qui faisait passer devant les ruines de l’ancien moulin où voilà longtemps on venait s’approvisionner directement en farines et j’en aimais l’odeur avec toutes ces poussières qui dansaient gaiement entre les broyeurs et le toit d’ardoises vieillies

Puis j’entendais son bruit liquide qui parfois se mélangeait à celui du vent qui bruissait dans les branches des arbres qui en bordaient ses rives
Et elle était là, rassurante, éternelle comme moi je l’étais à cette époque

Souvent, je m’asseyais sur le tablier de pierre du pont de pierre qui la traversait et je la contemplais.
Elle avait sur moi un effet apaisant et hypnotique.
C’était du avant tout à la présence de longues herbes aquatiques qui lui faisaient une longue chevelure, souple et soyeuse et qui accompagnait le moindre mouvement de son onde

C’était mon amoureuse aux cheveux verts mais comme pour d’autres amoureuses, je lui ai été infidèle, espaçant mes visites pour voir d’autres horizons au point de ne plus lui rendre visite pendant quelques années

Un jour, j’ai repris le chemin du vieux village.
C’était après le remembrement comme ils disent.
Remembrement, c’est un moyen de tuer l’âme d’un pays, vous ne le saviez pas ?

Bon, c’est vrai les héritages successifs avaient morcelé le pays en une mosaïque de champs parfois minuscules éparpillés d’un bout à l’autre du bourg et c’est vrai que ça ne facilite pas la pratique d’une agriculture moderne et efficace.
Pour aggraver leur cas, les lointains prédécesseurs avaient trouvé le moyen d’agrémenter chaque parcelle de haies sur lesquelles, hiératiques et tordus trônaient des chênes têtards comme je les appelais alors

Allez! à la trappe tout ça !!!
Putain! Les anciens avaient du faire ça juste pour faire joli bien sûr!
Sauf qu’aujourd’hui, on les replante ces haies, avec subventions à l’appui en plus, car elles remplissent des rôles bien précis et fondamentaux dont naïvement on croyait pouvoir se passer mais ceci est une autre histoire comme le disait Kipling

J’ai retrouvé la route du vieux village et de la rivière aussi par la même occasion et j’ai à nouveau emprunté la longue pente
Comme avant, j’ai perçu le bruit liquide mélangé à celui des feuilles des arbres qui avaient dans l’entre temps bien grandis et je me suis senti rassuré

Elle était bien présente, mon amoureuse aux cheveux verts, elle était là, polissant toujours les énormes rochers qui en parsemaient le cours et les arbres de ses rives la berçaient et la protégeaient de toutes leurs branches et de toutes leurs feuilles
Le monde était à nouveau en place et tout n’était pas perdu alors puisque elle chantait encore la rivière de mon enfance au fond de sa vallée perdue

Le monde était à sa place du moins le croyais-je et comme avant je vins pour m’appuyer les coudes sur le tablier de pierres usées, celui là même d’où j’admirais pendant de longs instants la longue, vivante et soyeuse toison…

Mais c’est une vue d’apocalypse qui se présenta à mes yeux car elle était devenue chauve ma petite amie de mes années d’enfance et d’adolescence
Sa magnifique chevelure qui la rendait si chère à mon cœur avait disparu et elle charriait maintenant une eau teintée de marron au travers de laquelle on pouvait voir le fond dépourvu de toute présence vivante

Une amoureuse chauve, vous vous rendez compte ?
Une amoureuse qui certes chante encore mais faux comme chantait faux peut être la cantatrice d’Ionesco symbole du royaume de l’absurde, celui là même où les fous sont rois

J’en ai eu le cœur navré et pas de coupable à l’horizon
Ni responsable, ni coupable bien sûr et qu’est ce que c’est qu’une petite rivière et son cortége de truites à l’affût dessous de longues herbes ondulantes et les martins-pêcheurs qui la traversaient en éclairs verts et bleus et les grenouilles qui se mettaient à l’abri des joncs
Qu’est ce qu’on en a à foutre de cette tranchée sinueuse, gardienne de cette eau où nous avons tous baigné dès nos premiers instants de vie

Toute une vie humble, irremplaçable et précieuse, perdue probablement à jamais, une somme de vies sacrifiées au nom des nitrates, des engrais, des insecticides et de la sacro-sainte rentabilité évidemment
Bien sûr, on n’y avait pas touché à ma vallée cachée.
On n’y avait pas touché mais toutes les saloperies que l’homme utilise pour forcer, pour violer la terre en ont trouvé le chemin, elles!
Et ma rivière les transporte vers la mer proche où elles favoriseront la croissance de superbes, poisseuses et puantes algues bleues bien faites pour agrémenter nos plages de l’été…

Je ne reviendrai plus voir mon amoureuse aux cheveux verts.
D’abord, le chemin pour y accéder est long, la pente bien escarpée et la promenade me fait mal aux genoux

Je vais vous confier une chose.
Vous n’en avez probablement rien à foutre mais je le dirai quand même
Ce soir je me sens fatigué et vieux et j’ai froid… Infiniment!
Froid sur le dessus du crâne surtout mais ça c’est probablement parce que je suis en train de perdre mes cheveux, de devenir chauve en quelque sorte!…

Claude

PS : Vous voyez l’image qui illustre ces propos ? C’est moi dans ma lointaine adolescence, c’est moi qui tourne les yeux vers l’objectif alors que je n’aurais jamais du détourner le regard de mon amoureuse aux cheveux verts pendant qu’elle était encore vivante


4 commentaires:

Zoridae a dit…

Vieux vous Claude, allons donc ! Votre plume est verte comme celle d'un adolescent... Je vous souhaite une belle année pleine d'amoureuses et pleine de cheveux...

claude a dit…

Plein d'amoureuses! Ben oui alors mais toutes avec plein de cheveux hein!!! Qu'elles ne me fassent pas le coup de ma rivière perdue...
Et, heu, j'ai un peu triché, c'est pas vrai que je perds mes cheveux, c'était pour faire une chute à mes élucubrations ;-))
Et bien sûr, bonne année avec tout pour plein de bonnes choses pour vous et ceux qui vous entourent

Claude

Anonyme a dit…

Joli texte et chouette photo.

Bonne, belle et douce année, Claude.

Bises.

claude a dit…

A toi aussi, Tippie, à nouveau tous mes voeux pour une année 2008 splendide à tous égards
Avec beaucoup de bises

Claude

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